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La question de l'abandon parental, de la déclaration d'abandon et de l'adoption simple est un sujet très sensible qui suscite depuis des années des débats denses avec des positions ultra-fortes.
D'une part : les défenseurs de la protection de l'enfance ont mis l'accent sur la persistance du lien entre l'enfant et sa famille, quitte à maintenir artificiellement ce lien et à infliger des placements répétés à l'enfant.
De l'autre : les partisans d'un dépistage précoce de l'abandon parental et d'une accélération de la déclaration d'abandon qui permettra ensuite à l'enfant d'accéder au statut de pupille de l'Etat et d'être adopté. Dominique Bertinotti est clairement positionné sur la deuxième pente. « Nous avons une tradition familiale. Pour les enfants dont on sait qu'ils ne rentreront pas chez eux, ne faut-il pas envisager un autre système ? Faciliter la procédure d'adoption ? "
Lois de protection de l'enfance, redémarrage éternel
Elle n'est pas la première ministre à se préoccuper de cette question et à vouloir donner une "seconde chance familiale" aux enfants qui sont censés "languir" dans les structures d'accueil de l'ASE. En son temps, Nadine Morano avait porté un projet de loi sur l'adoption (jamais soumis au vote mais fortement critiqué) dont l'un des volets précisait : « L'Aide sociale à l'enfance (ASE) devra évaluer chaque année, dès la première année. du placement, s'il y a abandon de l'enfant par sa famille biologique : le ministère public peut alors demander un complément d'enquête ou saisir directement le tribunal de grande instance d'une demande de déclaration d'abandon, qui le rendrait pleinement adoptable ». Hier, à Nantes, Dominique Bertinotti l'a confrontée avec le substitut du procureur chargé des affaires civiles. Voici ce qu'il prônait : » Il serait pertinent de permettre au ministère public de saisir le tribunal lorsqu'un placement semble être renouvelé sans se poser la question de l'intérêt supérieur de l'enfant. ».
On le voit, la protection des enfants et les combats idéologiques qui jalonnent son histoire transcendent les clivages politiques. C'est un ministre de droite, Philippe Bas, qui a fait voter une loi réformant la protection de l'enfance en 2007 et plaçant la primauté du lien biologique au cœur des missions de l'ASE, mais c'est aussi une ministre de droite, Nadine Morano, qui a voulu pour accélérer la procédure d'abandon et déplacer le curseur vers une rupture plus précoce du lien familial. Un ministre de gauche reprend désormais le flambeau. Avec cette teinte de taille : Dominique Bertinotti souhaite recourir à l'adoption simple, qui permet d'offrir un nouveau foyer à un enfant sans effacer ses liens de filiation avec ses parents biologiques.
Abandon sans définition ni référence
A ce sujet, il est très difficile de distinguer entre réalité et positions idéologiques. De nombreux travailleurs sociaux admettent volontiers que les enfants placés très tôt, dont on sait d'emblée qu'ils ne rentreront jamais chez eux, ne font pourtant pas l'objet d'une procédure d'abandon et d'un projet stable sur la durée. « Il faut absolument faire la veille dans les départements pour identifier les enfants qui n'ont pas vu leurs parents depuis six mois., il est urgent d'avoir un référentiel sur la notion de négligence, des techniques d'évaluation qui permettront aux équipes de se libérer de leurs représentations », pose Anne Roussé, du Conseil général de Meurthe et Moselle, qui a lancé avec d'autres un plaidoyer pour adoption nationale. Pour ma part, j'ai l'impression que l'inquiétude et la remise en cause des travailleurs sociaux face aux longs stages et aux parcours erratiques pour de nombreux enfants ont tendance à augmenter. Les professionnels semblent aujourd'hui beaucoup plus prompts à déplorer une tendance quelque peu dogmatique à vouloir entretenir un lien devenu en lui-même néfaste. Mais ce n'est qu'une impression.
Les chiffres, le grand flou artistique français
Les militants de la cause « familyiste », ceux qui considèrent en tout cas que le rôle premier de l'ASE est de permettre à un enfant d'être scolarisé par ses parents biologiques, sont toujours très actifs. Pourtant, l'un des plus célèbres hérauts du « lien familial », Jean-Pierre Rosencveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, est lui-même chargé de superviser l'un des groupes de travail du projet de loi familiale. On imagine que les discussions avec le ministre doivent être vives. Jean-Pierre Rosencveig a toujours affirmé qu'il y avait très peu d'enfants réellement abandonnés par leurs parents (pas assez en tout cas pour qu'il soit judicieux d'évoquer un dysfonctionnement) et que l'adoption ne pouvait donc constituer qu'un "outil de protection de l'enfance très mineur". Pour trancher, il est donc indispensable de connaître le nombre exact d'enfants abandonnés parmi les mineurs placés. Les services du ministère évoquent un chiffre de 15.000 enfants, ce qui justifierait en fait de revoir notre système de protection de l'enfance. Mais en l'absence d'une définition précise et d'outils statistiques fiables, il ne peut s'agir que d'une estimation, donc facilement contestable, et contestée, par les tenants du lien familial. Ce flou artistique ne facilite pas la tâche des observateurs extérieurs qui tentent de cerner la problématique, les journalistes par exemple. Car qui croire ? A qui attribuer la plus grande légitimité dans ce débat récurrent et complexe ? Comment être au plus près de la réalité des pratiques et des expériences quand justement, d'un spécialiste à l'autre, d'un professionnel du domaine à l'autre, les réponses sont diamétralement opposées ?
C'est pourquoi le manque de statistiques fiables dans nombre des sujets que je suis amené à relayer est devenu ma petite obsession du moment.