La grossesse racontée par un futur papa

Grossesse : l'histoire d'un futur papa

« La Femme est arrivée en avance, me disant qu'elle était en retard.

Elle avait fait un détour par la pharmacie pour passer un test de grossesse. Elle se tortilla vingt minutes sur le canapé du salon, répétant qu'elle s'en servirait à l'occasion. Peut-être demain, peut-être après-demain, pas de précipitation. Il est courant d'avoir quelques jours de retard, cela ne veut pas dire grand-chose. Elle a essayé de changer de sujet, s'est livrée à une analyse de la situation météorologique, c'est vrai qu'il faisait frais pendant un mois de juillet, puis elle s'est levée au milieu d'une phrase et s'est précipitée dans le couloir comme si sa vie en dépend, ce qu'elle fait. Elle était en retard, elle était pressée. A 21h17, la Femme a uriné sur un bâton blanc. Nous avons attendu ensemble dans la salle de bain. 21h22, le mot annonçant une nouvelle vie est apparu sur le bâton blanc. Assise au bord de la baignoire, la Femme débordait. Tremblante de joie et de panique, elle balbutiait des bouts de phrases qui s'entrechoquaient sans grande cohérence. J'ai pris son visage dans mes mains, j'ai embrassé ses larmes et j'ai fixé mon regard sur le sien pour la rassurer. Tout ira bien. J'étais calme, calme comme un plongeur au sommet d'une falaise, gelant mes émotions pour éviter de me liquéfier. J'essayais de contrôler ma propre tempête intérieure, un chaos d'incrédulité et d'exaltation mêlé à ce qu'il faut appeler la terreur. Elle n'a vu que du feu, mon acte de sang-froid l'a calmée. Nous nous sommes embrassés en chuchotant des ricanements. Puis nous nous sommes tus pour nous laisser emporter par l'instant. Un ange passa, comme si de rien n'était. J'ai levé les yeux et j'ai vu notre reflet dans le miroir. Nous n'étions plus tout à fait les mêmes. "

« La Femme est revenue toute pimpante de son rendez-vous chez le gynécologue…

Il m'a dit que j'avais des muqueuses très épaisses. Ce n'est pas n'importe qui, la Femme, elle a une muqueuse de standing. Je savais que j'avais affaire à un taureau de qualité. Cela dit, elle va devoir changer ses habitudes. Réduisez considérablement votre consommation de cigarettes. Plus une goutte d'alcool. Lavez soigneusement les légumes. Bannissez les sushis, le jambon cru et le fromage non pasteurisé. Autre contrainte : ne plus s'exposer au soleil au risque d'hériter d'un masque de grossesse qui pourrait orner son visage d'une sorte de moustache indélébile. C'est l'été, je file chercher un parasol tout de suite, je n'ai qu'une envie modérée de m'accoupler avec une femme barbue. Un dossier de pépinière apparaît sur le bureau de mon ordinateur. Je note les rendez-vous médicaux dans mon agenda. J'ajoute à mes favoris les sites consacrés à la paternité. La frontière entre l'abstrait et le concret se déplace. Après s'être exhibée sur ses muqueuses haut de gamme, la Femme me dit que l'embryon est en parfait état. C'est une petite virgule. Il fait moins d'un centimètre et déjà son coeur bat. Ce n'est donc pas une blague, cette histoire d'être vivant qui grandit là-dedans. "

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« Pendant longtemps, nous avons engendré par nécessité économique, pour Dieu ou pour le pays.

De nos jours, c'est pour le bonheur que l'enfant apporterait. Pour transmettre une histoire. Pour ne pas mourir seul. Doit être remplit. Prendre soin de. Pour transférer ses problèmes. Parce que c'est fait. La Femme ne se demande pas si son instinct maternel obéit à une construction culturelle ou à une injonction biologique. Elle veut juste un enfant. Pour ma part, c'est plus vague. Je soupçonne que j'obéis à cet aphorisme rendu célèbre par le chanteur cubain Compay Segundo : « Pour réussir dans la vie, un homme doit avoir un enfant, écrire un livre et planter un arbre. J'ai écrit des livres. Je n'ai jamais planté d'arbre et je n'ai jamais eu d'enfants. Il me semble plus naturel de créer des personnages qu'une personne. J'ai entendu cette phrase dans plusieurs pays, qui donne une dimension universelle à cette idée simple : nous nous construisons sur nos expériences. (…). Je pense que je vais avoir un enfant car je n'en ai jamais eu. Je suis animé par la peur de passer à côté d'un principe essentiel en m'abstenant. J'ai surtout l'impression que je serai plus heureux avec que sans. Je me trompe peut-être et je ne le saurai jamais. Je me suis posé toutes ces questions cent onze fois et, un jour où j'ai été traversé par un élan furtif de paternité en regardant des gosses jouer dans un parc, j'en suis venu à cette conclusion : pourquoi pas ? "

« Tenir ce journal de grossesse fait partie du processus d'acceptation.

Je suis dans la position de l'explorateur, Je découvre un continent en formation, celui de la Paternité. Je m'embarque pour le plus long, le plus puissant, le plus indélébile des voyages, je rencontrerai des obstacles inconnus. La grossesse dure neuf mois pour permettre au fœtus de se développer et au père de se préparer. Je change de peau, ces mots sont le produit de ma mue. Des morceaux de moi s'effondrent, d'autres s'agrègent pour former une nouvelle personnalité. Ce sera l'histoire de la transformation de l'homme en père. Cette histoire est aussi un processus parallèle, un geste d'accompagnement, presque un acte de solidarité, car je suis moi-même en gestation littéraire. Tu pèses une tonne et tu as des hémorroïdes, mon amour ? Oui, eh bien, ne vous plaignez pas trop, je suis moi-même tourmenté par les douleurs de l'accouchement de mon travail, je suis tourmenté par mes problèmes de virgule. vertige de la création, quelles rayures endurons-nous en ton nom ? (…) Lorsque vous tapez futur papa, Google suggère l'anxiété du futur papa parmi les premiers résultats associés. Voir le spleen dévoué des trentenaires à promeneurs, passés de l'âge des possibles à celui des regrets. L'arrivée de l'enfant confirme ce que l'on soupçonnait depuis un moment : nous ne sommes pas destinés à être des rock stars et le monde ne tourne pas autour de nous. Génération mécontente, qui rechigne à s'engager, tout en mettant un point d'honneur à changer les couches. "

« Le corps mince de la femme commence à s'arrondir en catimini.

Un petit renflement apparaît au niveau de son ventre. Ses seins se gonflent pour former un début de présence mammaire. La Femme a pris vingt grammes et elle s'est enduite de crème pour contrer les vergetures. Des événements considérables se déroulent à l'intérieur de ce corps et je suis stupéfait par mon niveau d'ignorance du processus en cours.. J'attends un enfant, alors j'achète J'attends un enfant, le Laurence Pernoud, édition de l'année, bible des futurs parents depuis 1956. La grossesse a commencé il y a deux mois. J'ai encore du mal à absorber la nouvelle et j'apprends que l'organisme implanté dans ma femme a déjà des membres. Son squelette est façonné. Ses organes se mettent en place. C'est une petite fraise. Si peu de volume pour autant de bouleversements. Comment est-il possible que les lignes de ses mains se dessinent déjà ? Il n'y avait rien dans cet utérus au début de l'été et je vais bientôt lui apprendre à faire du vélo.. Cette entité reliée à sa matrice par un cordon ombilical a le début d'un cerveau. Est-il plus proche de l'humain que du têtard ? A-t-elle une âme ? Tu rêves déjà, petite chose ? "

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