Eglantine Eméyé : "Samy n'est pas un enfant comme les autres"

Eglantine Eméyé : "Samy n'est pas un enfant comme les autres"

/ Sa naissance

Tu as l'air très bien, un beau bébé qui dort beaucoup, très calme, qui se remue juste assez pour faire savoir qu'il a faim. Je te trouve parfait. Parfois je mets la tétine dans ta bouche, pour jouer, je fais semblant de te l'enlever, et tout d'un coup, un magnifique sourire se dessine sur ton visage, je suis fier, tu as déjà l'air d'avoir un grand sens de l'humour ! Mais la plupart du temps, vous ne faites rien.

/ Les doutes

Tu as trois mois et tu n'es qu'une poupée de chiffon, toute douce. Vous ne pouvez toujours pas tenir votre tête. Quand j'essaye de m'asseoir avec mes fesses sur mes genoux, ma main soutenant ton ventre, tout ton corps s'affaisse. Pas une. Je l'ai déjà signalé au pédiatre qui ne semblait pas s'en soucier. Il semble que je sois trop impatient. (…) Vous avez quatre mois et vous continuez à ne rien faire. Je commence à m'inquiéter sérieusement. D'autant plus que tes grands-parents, qui ne mâchent pas leurs mots, font des propos qui m'interpellent et me blessent : « Il y a peut-être un manque de stimulation, c'est trop calme en toi » suggère ma mère. « Il est vraiment mignon, un peu lent, doux, mais vraiment mignon » insiste mon père, tout sourire.

/ Le diagnostic”

Samy. Mon fils. Mon petit. Ce n'est pas un enfant comme les autres, c'est sûr. Un accident vasculaire cérébral détecté en quelques mois, une épilepsie, un cerveau atone, et c'est tout ce que nous savons. Pour moi, il est autiste. Je vais, comme l'a fait Francis Perrin, suivre les nouveaux programmes que certains ont réussi à importer en France, et qui, semble-t-il, font des progrès pour ces enfants. ABA, Teach, Pecs, tout ce qui peut aider Samy, je le ferai.

/ Marco, son grand frère

Tu avais trois ans quand Samy est arrivé dans ta vie, tu l'attendais, comme tout grand frère, jaloux, mais qui veut croire ce que lui dit sa mère, un frère c'est un camarade de jeu avec qui on se dispute parfois, mais il est quand même un ami pour la vie. Et rien de tout cela n'est arrivé.

Dehors vous décomplexez bien des situations : « T'inquiète, c'est normal, il est autiste, il a une maladie dans la tête » annoncez-vous sans ambages aux personnes qui nous regardent, mal à l'aise, tandis que Samy se balance curieusement en poussant des petits cris . Mais tu peux aussi me dire avec une pointe d'humour car tu en as plein : « Et si on la laissait là, maman ? .. je blaaaaagueuh ! "

(…) Cet été, c'est les deux ans de Samy. Marco est enthousiaste. On va faire une fête, hein maman ?

– Dis à maman, à quelle heure avons-nous l'anniversaire de Samy ?

– Ce soir au dîner, sans doute. Pourquoi ?

– Ah c'est pour ça… Il faut attendre ce soir alors.

- Attendre pour quoi ? je demande

– Eh bien, laisse-le changer ! qu'il aille mieux ! Ce soir puisqu'il aura deux ans, ce ne sera plus un bébé, voyez-vous, ce sera un enfant, alors il va marcher, sourire, et je peux enfin jouer avec lui ! Marco me répond dans une magnifique innocence.

Je lui souris tendrement et me dirige vers lui. Je n'ose pas briser son rêve trop clairement.

/ Nuits difficiles

Samy a de grosses crises la nuit, il est trop violent envers lui-même. Ses joues ensanglantées n'ont plus le temps de cicatriser. Et je n'ai plus la force de le combattre toute la nuit, de l'empêcher de se blesser. Comme je rejette l'idée de médicaments supplémentaires, je décide de concevoir un caraco. Cette combinaison est l'une des meilleures idées que j'aie jamais eues. La première fois que je l'ai enfilé, une fois les bandes Velcro attachées, j'ai pensé que je les avais trop serrées… Il avait l'air parfaitement bien, ses yeux calmes, heureux… J'ai senti ses muscles sous mon corps se détendre. La nuit qui a suivi n'a pas été très bonne, mais Samy a moins crié, et il a été incapable de s'automutiler. Cependant, les nuits se sont beaucoup améliorées pour nous deux. Je ne me levais plus toutes les deux heures pour l'empêcher de se faire mal...

/ Le regard des autres

Ce matin, j'emmène Samy à la garderie. Je fais ma niche. Deux hommes assis au café m'appelèrent : « Dites, mademoiselle ! Où avez-vous trouvé votre badge handicapé ? Dans un sac surprise ? Ou connaissez-vous quelqu'un dans une bonne position? Oui ça doit être ça, une jolie fille comme toi ! "

Suis-je censé apprécier le compliment ou me rebeller devant leurs sarcasmes ? Je choisis l'honnêteté. Je me retourne et, en ouvrant la porte de Samy, leur adresse mon plus beau sourire « Non messieurs. Je l'ai eu en cadeau à la naissance de mon fils ! Si tu veux je te le donne. Enfin je te les donne. Parce que ça va ensemble. "

/ Une famille recomposée

Richard s'est parfaitement adapté à ma vie de fou. Normal, fou, il est un peu lui-même. Comme une bouffée d'air frais, avec son humour franc, sa joie de vivre, sa franchise, de celles qui sont parfois blessantes, mais qu'il est souvent bon de dire, et son énergie, il a ajouté son étincelle de vie à la nôtre. Il arrive, cuisine, prend Samy dans ses bras, et surtout, permet à Marco d'alléger le poids qu'il a fini par mettre sur ses épaules. Et puis Richard a une fille, Marie, du même âge que ma grande. Les deux enfants s'entendent immédiatement à merveille. Une vraie chance. Et aussi maternelle que puissent être les petites filles, elle se précipite dès que Samy se bouscule, propose de l'aider aux repas, de le faire jouer.

/ Merci Samy !

Mais Samy a des avantages. Lui aussi participe à l'extraordinaire vie de famille que nous avons et, à sa manière, il nous sauve de bien des situations. Et dans ces cas, Marco et moi lui exprimons toute notre gratitude. Par exemple, nous utilisons parfois Samy dans un magasin. Et pas seulement pour éviter la file et passer devant tout le monde (oui j'avoue, je suis très content de le faire, même quand, miraculeusement, Samy est calme dans la journée, et rien ne justifie que j'agite sa carte handicap aller plus vite en caisse), parfois juste pour le plaisir de remettre quelqu'un à sa place. C'est comme ça, mon petit Samy, idéal pour nous donner l'air ! Avec lui, plus de colle, le manque de place dans le métro, voire sur la place. Curieusement, dès qu'on atterrit quelque part, il y a un vide autour de nous, et à notre place !  

« Le voleur de brosses à dents », par Églantine Éméyé, éd. Robert Laffont, paru le 28 septembre 2015. Animateur de « Midi en France », sur France 3, et journaliste sur « RTL week-end » avec Bernard Poirette. Elle est également fondatrice et présidente de l'association « Un pas vers la vie », créée en 2008 pour les enfants autistes.

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