Entretien avec le psychologue social Jean Epstein : L'enfant est désormais idéalisé

Vous combattez l'idée qu'il existe une méthode d'éducation idéale. Comment votre livre y échappe-t-il ?

Je me suis assuré que mon livre était optimiste, concret et ouvert. Dans tous les milieux sociaux, les parents se sentent aujourd'hui dépassés car ils n'ont plus le savoir-faire de base qui se transmettait auparavant sans s'en apercevoir, de génération en génération. Certaines femmes, par exemple, connaissent la composition du lait maternel, mais ne savent pas comment allaiter leur bébé. Cette appréhension fait donc le lit des spécialistes aux discours péremptoires et coupables, mais aussi contradictoires. Pour ma part, je suis profondément convaincu que les parents ont des compétences. Je me contente donc de leur donner les outils pour qu'ils trouvent leur propre méthode d'éducation, adaptée à leur enfant en particulier.

Pourquoi les jeunes parents d'aujourd'hui ont de plus en plus de mal à trouver quelle place donner à leur enfant ?

Autrefois l'enfant n'avait pas le droit de parler. Un formidable développement nous a permis de reconnaître enfin les vraies compétences des bébés. Or, cette reconnaissance est devenue si importante que l'enfant d'aujourd'hui est idéalisé et surinvesti par ses parents. A travers leurs témoignages, je rencontre ainsi de nombreux bébés « chefs de famille » auxquels les parents n'osent rien interdire, car ils se demandent constamment « M'aimera-t-il encore si je lui dis non ? » L'enfant ne doit jouer qu'un seul rôle, celui d'être l'enfant de ses parents, et non celui de conjoint, de thérapeute, de parent de ses propres parents ou encore de punching-ball quand ces derniers ne le sont pas. pas d'accord entre eux.

La frustration est la clé de voûte d'une bonne éducation ?

L'enfant n'accepte spontanément aucune frustration. Il est né avec le principe de plaisir. Son contraire est le principe de réalité, qui permet de vivre parmi les autres. Pour cela, l'enfant doit se rendre compte qu'il n'est pas le centre du monde, qu'il n'obtient pas tout de suite tout ce qu'il doit partager. D'où l'intérêt d'être confronté à d'autres enfants. De plus, pouvoir attendre, c'est aussi s'impliquer dans un projet. Tous les enfants ressentent le besoin d'avoir des limites, et ils s'amusent même délibérément pour voir jusqu'où ils peuvent aller. Ils ont donc besoin d'adultes qui sachent dire non et faire preuve de cohérence dans ce qu'ils interdisent.

Comment sanctionner un enfant de manière équitable ?

Le choix des sanctions est important. Une fessée est toujours un échec quelque part. Une sanction doit donc être immédiate et véhiculée par la personne présente lors de la bêtise, c'est-à-dire qu'une mère ne doit pas attendre le retour du père pour punir son enfant. Elle doit aussi être expliquée à l'enfant, mais pas négociée avec lui. Enfin, soyez juste, en prenant soin de ne pas vous tromper de coupable, et surtout proportionné. Menacer son enfant de l'abandonner à la prochaine station-service est tout simplement terrifiant car pris en pleine face. Et quand la pression monte crescendo, alors on peut essayer de le confier à d'autres adultes pour lui faire accepter les sanctions qu'il refuse de la part de ses parents.

Parler aide à prévenir les cris, la colère, la violence…

Certains enfants sont très physiques : ils piquent tout ce que les autres ont dans les mains, crient, pleurent, se roulent par terre… C'est leur langage, et les adultes doivent d'abord faire attention à ne pas utiliser le même langage qu'eux en leur criant dessus. Une fois la crise passée, revoyez ce qui s'est passé avec votre enfant et écoutez ce qu'il a à dire, afin de lui apprendre qu'en mettant des mots, on peut discuter avec l'autre. Parler libère, soulage, apaise, et c'est le meilleur moyen de canaliser son agressivité. Il faut se prononcer pour ne pas en venir aux coups.

Mais pouvez-vous tout dire à votre enfant ?

Vous ne devez pas lui mentir, ni retenir des choses essentielles sur son histoire personnelle. D'autre part, il faut aussi faire attention à ne pas surévaluer ses compétences et donc toujours se demander « jusqu'où » il est prêt à nous écouter. Inutile, par exemple, d'entrer dans les détails de la maladie de sa tante quand il veut juste savoir pourquoi elle reste au lit et si c'est grave. Votre meilleur pari est de lui faire sentir que vous êtes ouvert à ses questions, car lorsqu'un enfant pose une question, cela signifie généralement qu'il est capable d'entendre la réponse.

Déplorez-vous également la tendance actuelle au risque zéro ?

On assiste aujourd'hui à une véritable dérive de la sécurité. Les morsures d'enfants dans la crèche deviennent une affaire d'État. Les mères ne sont plus autorisées à apporter des gâteaux faits maison à l'école. Bien sûr, il faut assurer la sécurité d'un enfant, mais aussi le laisser prendre des risques calculés. C'est le seul moyen pour lui d'apprendre à maîtriser le danger et de ne pas se retrouver complètement paniqué, incapable de réagir, dès qu'un imprévu se produit.

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