Sages-femmes : retour sur leur grève illimitée

Grève des sages-femmes : les raisons de la colère

Alors que les revendications des sages-femmes remontent à plusieurs années, la grève a débuté le 16 octobre 2013 par un sit-in devant le ministère de la Santé. C'est en effet lors de l'annonce du projet de loi sur la santé publique que la colère montante s'est transformée en grève. Après plusieurs réunions au ministère de la Santé, les sages-femmes, en partie regroupées autour d'un Collectif dans lequel gravitent plusieurs associations (avec un large panel réunissant étudiants, sages-femmes cadres, hôpitaux et professionnels), ne se sont toujours pas senties non écoutées. « Nous n'avons absolument pas été sollicitées, en tant que sages-femmes, sur ce projet de loi de santé publique. Et quand le ministère a reçu la délégation présente au sit-in, on s'est rendu compte que les sages-femmes étaient totalement inexistantes dans ce projet », explique Elisabeth Tarraga, secrétaire adjointe à l'Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF). Une mobilisation s'est alors étendue de Paris à la France entière (de manière plus ou moins hétérogène) sous la forme d'une grève illimitée.

Les réclamations des sages-femmes

Premièrement, les sages-femmes revendiquent le statut de praticien hospitalier. En pratique, il s'agit d'enregistrer la profession de sage-femme en tant que profession médicale à l'hôpital au même titre, par exemple, que les chirurgiens-dentistes ou les médecins. D'autant que ce statut médical des sages-femmes existe dans le code de la santé publique mais ne s'applique pas en milieu hospitalier. L'objectif, comme l'explique en substance Elisabeth Tarraga, n'est pas seulement de voir les compétences mieux valorisées (dont un salaire plus élevé) mais aussi d'avoir une plus grande flexibilité au sein des hôpitaux. Les sages-femmes se disent très autonomes dans leurs différentes actions auprès des femmes. Cependant, l'absence de statut médical les bloque dans certaines procédures, comme l'ouverture, entre autres, d'unités physiologiques. L'enjeu est tout aussi idéologique que financier. Mais leurs demandes dépassent le domaine hospitalier. Les sages-femmes libérales souhaitent ainsi être des acteurs majeurs des carrières en santé des femmes et que cela soit reconnu par le statut de praticienne de premier recours.. Le premier recours comprend tous les soins de prévention, de dépistage et de suivi d'un patient, hors pathologie grave, qui répondent à des critères de proximité et de disponibilité. Pour elles, les femmes doivent savoir qu'elles peuvent consulter une sage-femme libérale, qui travaille le plus souvent dans un cabinet en ville, pour un frottis par exemple. Les sages-femmes libérales souhaitent être reconnues comme une profession médicale indépendante qui s'occupe du suivi des grossesses à faible risque, de l'accouchement, du post-natal et comme des professionnelles ayant les compétences nécessaires aux consultations gynécologiques pour la contraception et la prévention.. « Le gouvernement doit travailler sur une véritable voie vers la santé des femmes. Qu'on définisse vraiment le premier recours avec le médecin généraliste et les sages-femmes et le deuxième recours avec les spécialistes », explique Elisabeth Tarraga. De plus, cela soulagerait les spécialistes qui doivent aussi gérer des pathologies, et réduirait le temps d'attente pour une simple consultation préventive, poursuit-elle. Mais cela ne définirait pas l'obligation pour une femme de consulter une sage-femme plutôt qu'un gynécologue. En effet, le statut de praticien de premier recours n'est pas une inscription formelle en tant que référent exclusif. C'est plutôt la reconnaissance de compétences spécifiques pour des consultations axées sur le conseil et la prévention au-delà de l'acte médical.. « Il s'agit de donner aux femmes la possibilité d'un choix éclairé basé sur une information complète », clame Elisabeth Tarraga. Parallèlement, les sages-femmes se battent pour la poursuite du processus d'intégration, à l'université, des écoles de sages-femmes, et une meilleure rémunération des étudiants stagiaires (par rapport à leurs 5 années d'études). Pour Sophie Guillaume, présidente du Collège national des sages-femmes de France (CNSF), le combat des sages-femmes peut se résumer en un mot clé : « visibilité ».

Sages-femmes et médecins en désaccord ?

Les sages-femmes veulent peser beaucoup plus dans un paysage dominé par les gynécologues et les obstétriciens. Mais qu'en pensent ces médecins ? Pour Elisabeth Tarraga comme pour Sophie Guillaume, ce sont généralement des comédiens muets. Au contraire, ils se sentent abandonnés voire dénigrés par le corps médical. Pourtant, les syndicats de gynécologues et d'obstétriciens ont pris la parole lors de la grève. Pour Philippe Deruelle, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), le mouvement s'essouffle et s'enlise, au fil des mois, dans de trop nombreuses revendications qui brouillent le message initial. « Certaines réclamations sont légitimes et d'autres non », explique-t-il. Ainsi, par exemple, les gynécologues et obstétriciens ne soutiennent pas le premier recours car, pour eux, il existe déjà via un partage de compétences entre les différents praticiens qui peuvent prendre en charge les femmes. Elles refusent que les sages-femmes obtiennent l'exclusivité du suivi de la femme, au nom, là encore, du libre choix.. D'autant que, pour Philippe Deruelle, ce n'est pas seulement une question de visibilité. Il explique que, dans certaines régions, il y a plus de gynécologues que de sages-femmes et vice versa, tandis que dans d'autres, le médecin le plus proche, et le premier point de contact même en cas de grossesse précoce, est le médecin généraliste. « L'organisation est basée sur les forces en présence. Chacun doit pouvoir être acteur de premier recours », détaille le secrétaire général du CNGOF. Aujourd'hui, le Collège considère que le ministère de la Santé a répondu aux demandes des sages-femmes.

La bataille des sages-femmes va continuer

Pour le gouvernement, le dossier est bel et bien clos. Le ministère de la Santé a pris position, par l'intermédiaire de sa ministre, Marisol Touraine, le 4 mars 2014, et a fait plusieurs propositions aux sages-femmes. « Première mesure : je crée le statut médical des sages-femmes hospitalières. Ce statut fera partie de la fonction publique hospitalière. Deuxième mesure : les compétences médicales des sages-femmes seront renforcées, tant à l'hôpital qu'en ville. Troisième mesure : de nouvelles responsabilités seront confiées aux sages-femmes. Quatrième mesure donc : la formation des sages-femmes sera renforcée. Cinquième et dernière mesure, la revalorisation des salaires des sages-femmes interviendra rapidement et prendra en compte leur nouveau niveau de responsabilité », a ainsi détaillé Marisol Touraine dans son discours du 4 mars. Pourtant, si le terme « statut médical » apparaît dans les propos du gouvernement, pour les sages-femmes du Collectif, il n'existe toujours pas. « Le texte dit bien que les sages-femmes ont une compétence médicale, mais cela ne définit pas pour autant un statut », regrette Elisabeth Tarraga. Ce n'est pas l'opinion du gouvernement qui reste ferme sur les décisions prises. « Le processus judiciaire suit maintenant son cours, et les textes confirmant le nouveau statut seront publiés à l'automne », explique un conseiller du ministre. Mais, pour les sages-femmes réunies dans le Collectif, le dialogue avec le gouvernement est comme rompu et les annonces sans suite. « Depuis le 4 mars, Marisol Touraine n'a discuté qu'avec les centrales syndicales. Il n'y a plus de représentation du Collectif », explique Sophie Guillaume. Pourtant rien n'est fini. « Il y a des réunions, des assemblées générales, car il y a toujours un mécontentement important », poursuit le président de la CNSF. En attendant, même si elle s'essouffle, la grève se poursuit et les sages-femmes entendent la rappeler à l'occasion du premier an du mouvement, le 16 octobre.

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