Oisiveté

Oisiveté

« L'oisiveté est le commencement de tous les vices, la couronne de toutes les vertus », écrivait Franz Kafka dans son journal en 1917. En fait, l'oisiveté est souvent mal vue dans la société d'aujourd'hui. En effet, il est souvent tenu pour inutile, voire associé à la paresse. Et encore! Le chômage, dont l'oisiveté tire son origine étymologique, était, dans l'Antiquité grecque ou romaine, réservée aux personnes qui avaient le loisir de se cultiver, de faire de la politique et de la rhétorique, voire de philosopher. Et la culture du temps libre reste aujourd'hui, en Chine, un véritable art de vivre. Les sociétés occidentales semblent aussi commencer à redécouvrir ses vertus, à l'heure de l'hyper-connexion permanente : sociologues et philosophes voient même dans l'oisiveté un moyen de lutter contre la productivité déshumanisante.

L'oisiveté : bien plus que l'oisiveté, mère de la philosophie ?

Le terme « oisiveté », étymologiquement dérivé du terme latin "Loisirs", désigne « L'état de quelqu'un qui vit sans travail et sans avoir une occupation permanente », selon la définition donnée par le dictionnaire Larousse. A l'origine, son contraire était "Entreprise", d'où vient le terme de négation, et désignait le dur labeur réservé aux esclaves, pour les classes inférieures du monde romain. Les citoyens grecs et romains, puis les artistocrates, trouvèrent à travers l'otium la capacité de réfléchir, de faire de la politique, de contempler, d'étudier. Pour Thomas Hobbes, d'ailleurs, « L'oisiveté est la mère de la philosophie »

Ainsi, selon les époques et le contexte, l'oisiveté peut être une valeur : une personne n'ayant pas une activité HIMO peut alors se consacrer entièrement à une activité culturelle ou intellectuelle, comme chez les Grecs et les Romains de l'Antiquité. . Mais, dans les sociétés actuelles qui sanctifient le travail, comme la nôtre, l'oisiveté, synonyme d'oisiveté, a plus une image négative, associée à la paresse, la paresse. L'oisiveté se voit alors, selon l'adage couramment utilisé, « Comme la mère de tous les vices ». Elle donne à l'oisif l'image de son inutilité comme reflet.

L'oisiveté est pourtant, aujourd'hui, revalorisée, notamment par certains philosophes ou sociologues modernes et contemporains : elle pourrait, ainsi, être un instrument de lutte contre la productivité déshumanisante. Et ses atouts ne s'arrêtent pas là : le farniente permettrait de prendre de la distance et ainsi de pouvoir créer et développer de nouvelles idées. 

Les citoyens y trouvent aussi l'occasion de prendre du recul, et de voir dans la possibilité de prendre du temps libre ou dans la méditation, une philosophie de vie qui peut conduire à la joie et au bonheur. Dans un monde promis à la rapidité et à la robotisation des tâches, l'oisiveté peut-elle redevenir un nouveau mode de vie, voire une forme de résistance ? Il faudrait aussi, pour cela, préparer dès le plus jeune âge les futurs citoyens à ce mode d'existence plus sobre, car comme l'écrivait Paul Morand dans Le réveil en 1937, « L'oisiveté exige autant de vertus que le travail ; cela demande la culture de l'esprit, de l'âme et des yeux, le goût de la méditation et des rêves, de la sérénité ».

Avec la Excuses pour le ralenti, Robert-Louis Stevenson écrit : "L'oisiveté ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de ce qui n'est pas reconnu dans les formes dogmatiques de la classe dirigeante." Ainsi, méditer, prier, penser et même lire, autant d'activités parfois jugées par la société comme oisives, exigeraient autant de vertus que le travail : et cette forme d'oisiveté exigerait, comme le dit Paul Morand, « La culture de l'esprit, de l'âme et des yeux, le goût de la méditation et des rêves, la sérénité ».

En mode pause, le cerveau fonctionne différemment, harmonise ses circuits

« Les êtres humains ont vraiment besoin de vie et de temps pour ne rien faire. Nous sommes dans une pathologie liée au travail, où celui qui ne fait rien est forcément un paresseux », dit Pierre Rabhi. Et pourtant, même des études scientifiques le montrent : lorsqu'il est en veille, en mode pause, le cerveau se construit. Ainsi, lorsque nous laissons vagabonder notre esprit, sans focaliser notre attention, cela s'accompagne d'une grande vague d'activité dans notre cerveau qui consomme alors près de 80% de l'énergie quotidienne : c'est ce qu'a découvert en 1996 le chercheur Bharat Biswal, de l'Université du Wisconsin.

Or, cette lame de fond d'activité cérébrale, en l'absence de toute stimulation, permet d'harmoniser les activités des différentes régions de notre cerveau, aussi bien pendant notre éveil que pendant notre sommeil. « Cette énergie noire de notre cerveau, (c'est-à-dire lorsqu'il est en mode de fonctionnement par défaut), indique Jean-Claude Ameisen dans son livre Les Beats du temps, nourrit nos souvenirs, nos rêveries, nos intuitions, notre décryptage inconscient du sens de notre existence ”.

De même, la méditation, qui vise à focaliser son attention, est en fait un processus actif, au cours duquel l'individu apprivoise ses émotions, ses pensées… et au cours duquel les connexions cérébrales sont remodelées. Pour la psychologue-psychothérapeute Isabelle Célestin-Lhopiteau, citée dans Sciences et Avenir, Méditer, « C'est réaliser un travail de présence à soi ayant une portée thérapeutique ». Et en effet, alors que "La plupart du temps, on est focalisé sur l'avenir (ce qui est susceptible d'arriver) ou on rumine sur le passé, méditer c'est revenir au présent, sortir de l'agitation mentale, du jugement".

La méditation augmente l'émission d'ondes cérébrales associées à une relaxation profonde et à un éveil calme chez les novices. Chez les experts, davantage d'ondes associées à une activité mentale intense et à une excitation active apparaissent. La méditation générerait même le pouvoir de faire durer les émotions positives dans le temps. De plus, huit régions du cerveau sont modifiées par la pratique constante de la méditation, y compris les domaines de la conscience corporelle, de la consolidation de la mémoire, de la conscience de soi et des émotions.

Savoir s'arrêter, laisser les enfants s'ennuyer : des vertus insoupçonnées

Savoir s'arrêter, cultiver l'oisiveté : une vertu qui est, en Chine, considérée comme de la sagesse. Et nous aurions, selon la philosophe Christine Cayol, auteur de Pourquoi les chinois ont-ils le tempss, beaucoup à gagner « Nous imposer une vraie discipline du temps libre ». Il faut donc apprendre à prendre le temps, imposer nos propres moments dans nos vies souvent hyper actives, cultiver notre temps libre comme un jardin…

Tout comme le général de Gaulle lui-même, qui prenait le temps de s'arrêter, de se promener avec son chat ou de réussir, et qui considérait même mal que certains de ses collaborateurs ne s'arrêtent jamais. « La vie n'est pas un travail : travailler sans fin rend fou », a affirmé Charles de Gaulle.

D'autant que l'ennui, en soi, a aussi ses vertus… Ne répète-t-on pas régulièrement qu'il est bon de laisser les enfants s'ennuyer ? Mentionné dans Le journal des femmes, le psychologue Stephan Valentin explique : « L'ennui est très important et doit avoir sa place dans le quotidien des enfants. C'est un facteur essentiel pour son développement, notamment pour sa créativité et son jeu libre. "

Ainsi, un enfant qui s'ennuie est soumis à ses stimuli internes au lieu de dépendre de stimuli externes, qui sont aussi souvent très, voire trop abondants. Ce temps précieux pendant lequel l'enfant s'ennuie, indique à nouveau Stéphane Valentin, « Lui permettra de se confronter et de réfléchir aux métiers. Ce vide ressenti se transformera ainsi en de nouveaux jeux, activités, idées… ».

Farniente : une façon d'être heureux…

Et si l'oisiveté n'était qu'un chemin vers le bonheur ? Si savoir se détacher de l'impatience moderne était la clé d'une vie heureuse, un chemin vers des joies simples ? Hermann Hesse, dans L'Art de l'oisiveté (2007), déplore : « On ne peut que regretter que nos moindres distractions soient aussi depuis quelque temps affectées par l'impatience moderne. Notre façon de jouir n'est guère moins fiévreuse et épuisante que l'exercice de notre métier. " Hermann Hesse fait également remarquer qu'en obéissant à cette devise qui commande « Faire le maximum en un minimum de temps », la gaieté diminue, malgré l'augmentation des divertissements. Le philosophe Alain va aussi dans ce sens, qui écrivait en 1928 dans son A propos du bonheur qui « La principale erreur de notre temps est de chercher la vitesse en tout ».

Savoir s'arrêter, prendre le temps de méditer, de parler, de lire, de se taire. Même celle de prier, qui est une certaine forme de« Penser l'oisiveté »… Se détacher de l'urgence, se libérer de cette forme d'esclavage moderne que sont devenues nos sociétés sur-connectées, où nos cerveaux sont sans cesse sollicités par le numérique, les réseaux sociaux et les jeux vidéo : tout cela demande aussi une certaine forme d'éducation. Dans un nouveau modèle de société, par exemple, où un revenu universel de subsistance permettrait à ceux qui le souhaitent de rester oisifs plutôt que d'être pris dans la tourmente de "La vitesse qui use les machines et consomme de l'énergie, qui stupéfie les gens" (Alain), un nouveau bonheur à la fois sociétal et individuel pourrait émerger. 

Pour conclure, ne pourrions-nous pas citer Marcel Proust, qui écrivait dans Journées de lecture : «Il n'y a peut-être pas de jours dans notre enfance que nous avons vécus aussi pleinement que ceux que nous pensions avoir quittés sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous rejetions comme un vulgaire obstacle au plaisir divin… »

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