Entretien avec Adrien Taquet : « Je considère l'exposition à la pornographie comme une violence à l'encontre des mineurs »

À l'âge de 12 ans, près d'un enfant sur trois (1) a vu des images pornographiques sur Internet. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'Enfance et de la Famille, a répondu à nos questions, dans le cadre du lancement d'une plateforme en ligne destinée à faciliter la mise en place du contrôle parental sur l'accès aux contenus pornographiques (www.jeprotegemonenfant.gouv.fr).

Parents : Avons-nous des chiffres précis sur la consultation de contenus pornographiques par des mineurs ?

Adrien Taquet, secrétaire d'État à la Famille : Non, et cette difficulté illustre le problème auquel nous devons faire face. Pour naviguer sur de tels sites, les mineurs doivent promettre qu'ils ont l'âge requis, c'est le fameux « disclaimer », les chiffres sont donc faussés. Mais des études montrent que la consommation de contenus pornographiques est de plus en plus massive et précoce chez les mineurs. Un enfant de 12 ans sur trois a déjà vu ces images (3). Près d'un quart des jeunes déclarent que la pornographie a eu un impact négatif sur leur sexualité en leur donnant des complexes (1) et 2% des jeunes qui ont des relations sexuelles déclarent reproduire des pratiques qu'ils ont vues dans des vidéos pornographiques (44).

 

« Près d'un quart des jeunes disent que la pornographie a eu un impact négatif sur leur sexualité en leur donnant des complexes. "

De plus, les experts s'accordent à dire que le cerveau de ces enfants n'est pas suffisamment développé et que c'est un véritable choc pour eux. Cette exposition représente donc pour eux un traumatisme, une forme de violence. Sans compter que la pornographie représente un obstacle à l'égalité entre les femmes et les hommes, puisque la majorité des contenus pornographiques aujourd'hui sur Internet tendent à favoriser la domination masculine et à mettre en scène des scènes de violence à l'égard des femmes. femmes.

Comment se fait-il que ces mineurs tombent sur ce contenu ?

Adrien Taquet : La moitié d'entre eux disent que c'était par hasard (4). La démocratisation d'Internet s'est accompagnée de la démocratisation de la pornographie. Les sites se sont multipliés. Cela peut donc passer par de multiples canaux : moteurs de recherche, suggestions de publicités ou sous forme de pop-ups, contenus qui émergent sur les réseaux sociaux, etc.

 

« Les experts s'accordent sur le fait que le cerveau de ces enfants n'est pas suffisamment développé et que c'est pour eux un véritable choc. "

Aujourd'hui vous lancez une plateforme d'accompagnement des parents, à quoi va-t-elle servir concrètement ?

Adrien Taquet : Il y a deux objectifs. Le premier est d'informer et de sensibiliser les parents sur ce phénomène et sa dangerosité. La seconde est de les aider à renforcer le contrôle parental afin que leurs enfants ne soient plus confrontés à ce contenu pornographique lors de l'utilisation d'Internet. Surtout, nous ne voulons pas culpabiliser les familles en cette période de crise où il est déjà si difficile d'être parent. C'est pourquoi ils trouveront sur ce site, https://jeprotegemonenfant.gouv.fr/, de véritables solutions pratiques, simples et gratuites à mettre en place pour sécuriser la navigation de leurs enfants à chaque « maillon de la chaîne » ; fournisseur de services Internet, opérateur de téléphonie mobile, moteur de recherche, comptes de médias sociaux. Il suffit de suivre les recommandations, c'est très balisé et simple d'utilisation. Il s'adapte à chacun, à l'âge des enfants, aux besoins concrets, selon les profils d'utilisateurs.

 

Un site pour aider les parents à mieux protéger leur enfant : https://jeprotegemonenfant.gouv.fr/

 

L'exposition des mineurs au web se fait aussi en dehors du domicile, on ne peut pas tout contrôler…

Adrien Taquet : Oui, et nous sommes bien conscients que cette plateforme n'est pas une solution miracle. Comme tous les sujets liés à l'utilisation d'Internet, l'empowerment des enfants reste le premier bouclier. Mais il n'est pas toujours facile d'en discuter. Sur la plateforme, des questions/réponses, des vidéos et des références de livres permettent de trouver les moyens d'amorcer ce dialogue, de trouver les mots.

 

Sur jeprotegemonenfant.gouv.fr, les parents trouveront de vraies solutions pratiques, simples et gratuites à mettre en place pour sécuriser la navigation de leurs enfants. "

Ne faudrait-il pas renforcer le contrôle des éditeurs de sites pornographiques ?

Adrien Taquet : Notre volonté n'est pas d'interdire la diffusion de pornographie sur Internet, mais de lutter contre l'exposition des mineurs à de tels contenus. La loi du 30 juillet 2020 stipule que la mention « déclarer avoir plus de 18 ans » n'est pas suffisante. Des associations peuvent saisir le CSA pour exiger des mécanismes d'interdiction aux mineurs. Aux éditeurs de les mettre en place, de trouver des solutions. Ils ont les moyens de le faire, comme de faire payer le contenu par exemple…

Propos recueillis par Katrin Acou-Bouaziz

La plateforme : https://jeprotegemonenfant.gouv.fr/

Comment est née la plateforme Jeprotègemonenfant.gouv.fr ?

La création de cette plateforme fait suite à la signature d'un protocole d'engagements signé par 32 acteurs publics, privés et associatifs, en février 2020 : Secrétaire d'Etat chargé de l'enfance et de la famille, Secrétaire d'Etat au Numérique, Ministère de la Culture, Secrétaire d'Etat en charge de l'égalité hommes-femmes et de la lutte contre les discriminations, CSA, ARCEP, Apple, Bouygues Telecom, l'association Cofrade, l'association E-fance, l'association Ennocence, Euro-Information Telecom, Facebook, Fédération Française des Télécoms, National Fédération des écoles pour parents et éducateurs, Fondation pour l'enfance, GESTE, Google, Iliad/Free, Association Je. Tu. Ils…, La ligue de l'éducation, Microsoft, l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique, l'Observatoire de la qualité de vie au travail, Orange, Point de Contact, Qwant, Samsung, SFR, Snapchat, Association UNAF, Yubo.

 

  1. (1) Sondage Opinionway « Moi Jeune » pour 20 Minutes, publié en avril 2018
  2. (2) Sondage Opinionway « Moi Jeune » pour 20 Minutes, publié en avril 2018
  3. (3) Enquête IFOP « Adolescents et porno : vers une » génération Youporn ? ", 2017
  4. (4) Enquête IFOP « Adolescents et porno : vers une » génération Youporn ? ”, 2017

 

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