Entretien avec Muriel Salmona, psychiatre : « Comment protéger les enfants des violences sexuelles ? "

 

Parents : Combien d'enfants sont aujourd'hui victimes d'inceste ?

Muriel Salmona : Nous ne pouvons pas séparer l'inceste des autres violences sexuelles. Les auteurs sont des pédophiles à l'intérieur et à l'extérieur de la famille. Aujourd'hui en France, une fille sur cinq et un garçon sur treize sont victimes d'agressions sexuelles. La moitié de ces agressions sont commises par des membres de la famille. Les chiffres sont encore plus élevés lorsque les enfants ont un handicap. Le nombre de photos pédophiles sur le net double chaque année en France. Nous sommes le deuxième pays le plus touché d'Europe.

Comment expliquer de tels chiffres ?

MS Seulement 1% des pédophiles sont condamnés car la grande majorité n'est pas connue des tribunaux. Ils ne sont tout simplement pas signalés et donc pas arrêtés. La raison : les enfants ne parlent pas. Et ce n'est pas de leur faute mais le résultat d'un manque d'information, de prévention et de détection de ces violences. Il existe cependant des signes de souffrance psychologique qui doivent alerter parents et professionnels : malaise, repli sur soi, colère explosive, troubles du sommeil et de l'alimentation, conduites addictives, angoisses, phobies, pipi au lit… Cela ne veut pas dire que tous ces signes en un enfant sont nécessairement révélateurs de violence. Mais ils méritent qu'on s'attarde avec un thérapeute.

N'y a-t-il pas des « règles fondamentales » à respecter pour éviter d'exposer les enfants à des violences sexuelles ?

MS Oui, on peut réduire les risques en étant très vigilant sur l'environnement des enfants, en surveillant leurs compagnons, en faisant preuve d'intolérance face aux moindres propos humiliants et sexistes comme le fameux « dis que ça pousse ! », en interdisant des situations comme prendre un bain ou dormir avec un adulte, voire un membre de la famille. 

Autre bon réflexe à adopter : expliquez à votre enfant que « personne n'a le droit de toucher ses parties intimes ou de le regarder nu ». Malgré tous ces conseils, le risque persiste, ce serait mentir de dire le contraire, vu les chiffres. La violence peut survenir n'importe où, même entre voisins de confiance, pendant la musique, le catéchisme, le football, pendant les vacances en famille ou un séjour à l'hôpital… 

Ce n'est pas la faute des parents. Et ils ne peuvent pas tomber dans une angoisse permanente ou empêcher les enfants de vivre, de faire des activités, de partir en vacances, d'avoir des amis…

Alors comment protéger les enfants de cette violence ?

MS La seule arme est de parler avec vos enfants de cette violence sexuelle, de l'aborder dans la conversation lorsqu'elle survient, en vous appuyant sur des livres qui la mentionnent, en posant régulièrement des questions sur les sentiments des enfants face à une telle situation, tel individu, même dès la petite enfance vers 3 ans. « Personne ne vous fait de mal, vous fait peur ? « Évidemment, il faut s'adapter à l'âge des enfants et les rassurer en même temps. Il n'y a pas de recette miraculeuse. Cela concerne tous les enfants, même sans signes de souffrance car certains ne montrent rien mais ils sont « détruits de l'intérieur ».

Un point important : les parents expliquent souvent qu'en cas d'agression, il faut dire non, crier, fuir. Sauf qu'en réalité, confronté à un pédophile, l'enfant n'arrive pas toujours à se défendre, paralysé par la situation. Il pourrait alors se murer dans la culpabilité et le silence. Bref, il faut aller jusqu'à dire « si ça t'arrive, fais tout pour te défendre, mais ce n'est pas de ta faute si tu n'y arrives pas, tu n'es pas responsable, comme lors d'un vol ou d'un coup. Par contre, il faut le dire tout de suite pour avoir de l'aide et qu'on puisse arrêter le coupable ». A savoir : rompre rapidement ce silence, protéger l'enfant de l'agresseur, permettre d'éviter des conséquences graves à moyen ou long terme pour l'équilibre de l'enfant.

Un parent qui a été agressé sexuellement dans son enfance devrait-il en parler à ses enfants ?

MS Oui, la violence sexuelle ne doit pas être tabou. Elle ne fait pas partie de l'histoire de la sexualité du parent, qui ne regarde pas l'enfant et doit rester intime. La violence sexuelle est un traumatisme que nous pouvons expliquer aux enfants comme nous leur expliquerions d'autres expériences difficiles de notre vie. Le parent peut dire : « Je ne veux pas que cela t'arrive parce que c'était très violent pour moi ». Si, au contraire, le silence règne sur ce passé traumatisant, l'enfant peut ressentir une fragilité chez son parent et comprendre implicitement « on ne parle pas de ça ». Et c'est précisément le contraire du message à faire passer. Si révéler cette histoire à son enfant est trop douloureux, le parent peut très bien le faire avec l'aide d'un thérapeute.

Propos recueillis par Katrin Acou-Bouaziz

 

 

Soyez sympa! Laissez un commentaire