Le lait : bon ou mauvais pour la santé ? Entretien avec Jean-Michel Lecerf

Le lait : bon ou mauvais pour la santé ? Entretien avec Jean-Michel Lecerf

Entretien avec Jean-Michel Lecerf, Chef du Service de Nutrition à l'Institut Pasteur de Lille, Nutritionniste, spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques.
 

"Le lait n'est pas un mauvais aliment !"

Jean-Michel Lecerf, quels sont les bienfaits nutritionnels prouvés du lait ?

Le premier avantage est la composition exceptionnelle du lait en termes de protéines. Ils sont parmi les plus complexes et les plus complets et comprennent à la fois des protéines rapides et lentes. En particulier, une étude a montré qu'une protéine isolée du lait permet d'augmenter considérablement le taux plasmatique de certains acides aminés, notamment la leucine dans le sang, pour la prévention du vieillissement musculaire.

Ensuite, les matières grasses du lait contiennent les types d'acides gras les plus différents. Cela ne veut pas dire que toutes les matières grasses du lait sont intéressantes, mais certains acides gras mineurs ont des effets extraordinaires sur de nombreuses fonctions.

Enfin, le lait est l'aliment qui contient la plus grande diversité de micronutriments en nombre et en quantité, dont du calcium bien sûr, mais aussi de l'iode, du phosphore, du sélénium, du magnésium… Concernant les vitamines, l'apport du lait est fort puisqu'il en apporterait entre 10 et 20% des apports recommandés.

La recherche a-t-elle pu prouver que boire du lait est bénéfique pour la santé ?

En effet, la nutrition est une chose, mais la santé en est une autre. De plus en plus, la recherche décrit des bienfaits exceptionnels pour la santé de manière inattendue. Premièrement, il existe un lien entre la consommation de lait et la prévention du syndrome métabolique et du diabète de type 2. Les études sont très nombreuses et la relation de cause à effet est très probable. Nous le savons grâce à certains acides gras marqueurs très spécifiques que l'on ne trouve que dans les matières grasses laitières. Ensuite, la recherche tend à tirer profit du lait sur le risque cardiovasculaire et en particulier sur le premier infarctus. Cela pourrait être lié au calcium mais rien qui n'est pas certain. Il existe également un effet favorable du lait sur le poids pour des raisons de satiété et de satiété, une diminution nette et confirmée du cancer colorectal et un intérêt certain du lait dans la prévention de la sarcopénie liée à l'âge et de la dénutrition.

Qu'en est-il du lien supposé avec l'ostéoporose ?

En ce qui concerne les fractures, il y a un manque d'études d'intervention formelles. Les études observationnelles, en revanche, montrent clairement que ceux qui consomment du lait sont moins à risque que ceux qui n'en consomment pas. A condition de ne pas trop en consommer, selon la dernière étude BMJ (le risque de mortalité précoce est presque doublé chez les femmes qui boivent 3 verres de lait par jour ou plus selon cette étude, ndlr). Les études d'intervention menées sur la densité minérale osseuse montrent un effet favorable, mais il existe trop peu d'études disponibles sur la fracture et l'ostéoporose pour établir un lien définitif.

A l'inverse, avez-vous entendu parler d'études démontrant le lien entre le lait et certaines pathologies ?

Il existe de nombreuses études impliquant le lait dans la survenue du cancer de la prostate. Le WCRF (World Cancer Research Fund International) vient cependant de rendre un avis très intéressant où la responsabilité du lait a été requalifiée en « preuve limitée ». Cela signifie qu'il est toujours en cours d'examen. Des études observationnelles montrent que s'il existe un lien, c'est pour des apports très élevés, de l'ordre de 1,5 à 2 litres de lait par jour. Des études expérimentales en cours chez l'animal montrent que le calcium à haute dose est associé à un risque accru et, à l'inverse, les produits laitiers sont associés à une diminution. La prudence est donc de conseiller de ne pas consommer de très grandes quantités de produits laitiers, c'est-à-dire au moins un litre ou deux litres, ou l'équivalent. Cela semble logique.

Le lait est aussi souvent accusé de contenir des facteurs de croissance qui peuvent causer le cancer. Qu'est-ce que c'est vraiment ?

Il y a eu en effet toute une polémique qui a fait l'objet d'une saisine de l'Anses sur ces facteurs de croissance. Dans l'état actuel des choses, il n'y a pas de relation de cause à effet établie. Cependant, il est évident qu'il ne faut pas consommer trop de protéines.

Il existe des facteurs de croissance dans le sang qui favorisent des facteurs comme les œstrogènes. Et on le trouve aussi dans les produits laitiers. Ces facteurs sont très bien absorbés chez le tout-petit, et cela fonctionne plutôt bien car ils sont présents dans le lait des femmes et ils servent à faire grandir l'enfant. Mais, au fil du temps, il existe des enzymes qui empêchent ces facteurs de croissance d'être absorbés. Et de toute façon, le chauffage UHT les éteint complètement. En réalité, ce ne sont donc pas les hormones de croissance du lait qui sont responsables des taux d'hormones de croissance circulant dans le sang, c'est autre chose. C'est les protéines. Les protéines amènent le foie à fabriquer des facteurs de croissance qui se retrouvent ensuite dans la circulation. Trop de protéines et donc trop de facteurs de croissance ne sont donc pas souhaitables : cela contribue à la grande taille des enfants, mais aussi à l'obésité et peut-être, en excès, à un effet promoteur tumoral. Les enfants consomment 4 fois trop de protéines par rapport à leur apport recommandé !

Mais le lait n'est pas le seul responsable de ce phénomène : toutes les protéines, y compris celles issues des plantes, ont cet effet.

Comprenez-vous que l'on se détourne du lait au profit de certains produits alternatifs comme les boissons végétales ?

En nutrition, il y a de plus en plus de gens qui partent en croisade contre la nourriture, les Ayatollahs. Cela peut même parfois concerner certains professionnels de santé qui ne sont pas forcément compétents en nutrition et qui manquent de rigueur scientifique. Quand on est scientifique, on est ouvert à tout : on a une hypothèse et on cherche à savoir si elle est vraie. Pourtant, les détracteurs du lait ne vont pas dans ce sens, ils prétendent que le lait est nocif et tentent tout pour le démontrer.

Plusieurs nutritionnistes rapportent que certaines personnes se sentent beaucoup mieux après avoir cessé de consommer du lait. Comment l'expliquez-vous ?

Je connais ce phénomène puisque je suis également clinicien et que j'ai probablement vu 50 à 000 patients dans ma carrière. Il existe plusieurs scénarios. Premièrement, le lait peut être responsable de troubles comme l'intolérance au lactose. Cela provoque des troubles, pas majeurs mais gênants, qui sont toujours liés à la quantité et à la qualité du produit laitier consommé. Des allergies aux protéines de lait de vache sont également possibles. Dans ces cas, l'arrêt du lait entraînera en effet la disparition des troubles liés à sa consommation.

Pour d'autres catégories de personnes, le sentiment de bien-être après l'arrêt du lait peut être lié à une modification des habitudes alimentaires. Ces effets ne sont pas forcément liés à un aliment en particulier, mais à un changement. Lorsque vous changez vos habitudes, par exemple si vous jeûnez, vous ressentirez différentes choses sur votre corps. Mais ces effets seront-ils durables dans le temps ? Sont-ils attribués au lait ? Il ne faut pas non plus négliger l'effet placebo, qui est un effet majeur de la médecine. Des études sur des personnes intolérantes au lactose ont montré que leurs symptômes s'améliorent lorsqu'elles reçoivent du lait sans lactose ou sans lactose, mais sans leur dire quel produit elles boivent.

Les détracteurs du lait avancent que le lobby du lait influencerait le PNNS (Programme National Nutrition Santé). Comment expliquez-vous que les autorités recommandent 3 à 4 produits laitiers par jour alors que l'OMS ne recommande que 400 à 500 mg de calcium par jour (un verre de lait en apporte environ 300 mg) ?

Les laitiers font leur travail mais ce ne sont pas eux qui dictent les recommandations au PNNS. Il n'est pas étonnant que les lobbies laitiers cherchent à vendre leurs produits. Qu'ils cherchent à influencer, peut-être. Mais au final, ce sont les scientifiques qui décident. Ça me choquerait que le PNNS comme l'Anses soient à la solde des produits laitiers. Pour l'OMS, en revanche, vous avez raison. Les recommandations de l'OMS n'ont pas du tout la même finalité que celles des agences de sécurité sanitaire ou du PNNS qui donnent des apports nutritionnels conseillés. En fait, il y a beaucoup d'écart. L'OMS suppose qu'ils s'adressent à l'ensemble de la population mondiale et que le but est au moins d'atteindre une limite pour les personnes qui sont à des niveaux très bas. Quand vous avez des populations qui consomment 300 ou 400 mg de calcium par jour, si vous leur dites que l'objectif est de 500 mg, c'est un minimum. Ce sont des recommandations de sécurité très basiques, si vous regardez ce que l'OMS recommande pour les calories, les matières grasses, ce n'est pas la même chose non plus. Étudiez les recommandations en termes de calcium de toutes les agences de sécurité alimentaire de nombreux pays asiatiques ou occidentaux, nous sommes presque toujours au même niveau, c'est-à-dire autour de 800 et 900 mg de calcium recommandé. Enfin, il y a peu ou pas de contradictions. Le but de l'OMS est de lutter contre la malnutrition.

Que pensez-vous de cette théorie selon laquelle le lait augmente le risque de maladie chronique ?

Il n'est pas exclu que le lait augmente le risque de maladies intestinales, rhumatismales, inflammatoires… C'est une hypothèse possible, rien ne doit jamais être exclu. Certains font cette affirmation en raison de l'augmentation de la perméabilité intestinale. Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'étude qui l'accrédite. C'est vraiment agaçant. S'il y a des chercheurs qui observent ce phénomène, pourquoi ne les publient-ils pas ? De plus, quand on regarde les études qui sont déjà parues, on ne voit pas du tout cela puisqu'elles montrent que le lait aurait un effet anti-inflammatoire. Alors comment expliquez-vous que cliniquement le lait devienne pro-inflammatoire ? C'est difficile à comprendre… Certaines de mes patientes ont arrêté le lait, elles ont eu des améliorations, puis au bout d'un moment, tout est revenu.

Je ne défends pas le lait, mais je ne suis pas d'accord avec l'idée que le lait passe pour un mauvais aliment et qu'il faille s'en passer. C'est ridicule et cela peut être dangereux surtout dans la couverture des apports recommandés. Cela revient toujours à la même chose, manger trop de nourriture n'est pas bon.

Retour à la première page du grand sondage lait

Ses défenseurs

Jean Michel Lecerf

Responsable du département Nutrition à l'Institut Pasteur de Lille

"Le lait n'est pas un mauvais aliment !"

Relisez l'entretien

Marie-Claude Bertière

Directeur du département CNIEL et nutritionniste

"Se priver de produits laitiers conduit à des déficits au-delà du calcium"

Lire l'entretien

Ses détracteurs

Marion Kaplan

Bio-nutritionniste spécialisée en médecine énergétique

"Pas de lait après 3 ans"

Lire l'entretien

Hervé Berbille

Ingénieur en agro-alimentaire et diplômé en ethno-pharmacologie.

« Peu d'avantages et beaucoup de risques !

Lire l'entretien

 

 

Soyez sympa! Laissez un commentaire