Témoignage : « En devenant maman, j'ai réussi à surmonter mon abandon »

« Je suis un enfant adopté, je ne connais pas mes origines. Pourquoi ai-je été abandonné ? Ai-je subi des violences ? Suis-je le résultat d'un inceste, d'un viol ? M'ont-ils trouvé dans la rue ? Je sais seulement que j'ai été placé à l'orphelinat de Bombay, avant de venir en France à l'âge d'un an. Mes parents ont fait de ce trou noir une couleur, me donnant soin et amour. Mais une obscurité aussi. Parce que l'amour que nous recevons n'est pas nécessairement ce que nous attendons. 

Au début, avant l'école primaire, ma vie était heureuse. J'étais entourée, choyée, adorée. Même si parfois je cherchais en vain une ressemblance physique avec mon père ou ma mère, notre joie de vivre quotidienne prenait le pas sur mes questions. Et puis, l'école m'a transformé. Elle a fait de mes angoisses mon personnage. C'est-à-dire que mon hyper-attachement aux gens que j'ai rencontrés est devenu une façon d'être. Mes amis en ont souffert. Ma meilleure amie, que j'ai gardée dix ans, a fini par me tourner le dos. J'étais exclusif, pot de colle, je prétendais être le seul et, pire encore, je n'admettais pas que les autres diffèrent de moi dans la manière dont ils expriment leur amitié. J'ai réalisé à quel point la peur de l'abandon résidait en moi.

Adolescente, l'amour d'un garçon me manquait cette fois. Mon fossé identitaire était plus fort que tout et j'ai recommencé à ressentir une maladie prononcée. Je suis devenu accro à la nourriture, comme une drogue. Ma mère n'avait pas les mots pour m'aider, ni un contact assez proche. Elle minimisait. Était-ce par anxiété ? Je ne sais pas. Ces maux étaient pour elle, les maux normaux de l'adolescence. Et cette froideur me faisait mal. Je voulais m'en sortir toute seule, car je sentais que mes appels à l'aide étaient pris pour des caprices. J'ai pensé à la mort et ce n'était pas un fantasme d'adolescent. Heureusement, je suis allé voir un magnétiseur. A force de travailler sur moi, je me suis rendu compte que le problème n'était pas l'adoption elle-même, mais l'abandon initial.

À partir de là, j'ai compris tous mes comportements extrêmes. Mon abandon, enraciné en moi, m'a rappelé à maintes reprises que je ne pouvais pas être aimé longtemps et que les choses ne duraient pas. J'avais analysé, bien sûr, et j'allais pouvoir agir et changer ma vie. Mais lorsque je suis entré dans le monde du travail, une crise existentielle s'est emparée de moi. Mes relations avec les hommes m'ont fragilisée au lieu de m'accompagner et de me faire grandir. Ma grand-mère bien-aimée est morte et son immense amour m'a manqué. Je me sentais très seul. Toutes les histoires que j'ai eues avec des hommes se sont terminées rapidement, me laissant un goût amer d'abandon. Être à l'écoute de ses besoins, respecter le rythme et les attentes de son partenaire, c'était un beau challenge, mais pour moi tellement difficile à réaliser. Jusqu'à ce que je rencontre Mathias.

Mais avant, il y a eu mon voyage en Inde, vécu comme un moment clé : J'ai toujours pensé que c'était une étape importante pour me réconcilier avec mon passé. Certains m'ont dit que ce voyage était courageux, mais j'avais besoin de voir la réalité en face, sur place. Je suis donc retourné à l'orphelinat. Quelle claque ! La pauvreté, les inégalités me submergeaient. Dès que je voyais une petite fille dans la rue, elle me renvoyait à quelque chose. Ou plutôt à quelqu'un…

L'accueil à l'orphelinat s'est bien passé. Cela m'a fait du bien de me dire que l'endroit était sûr et accueillant. Cela m'a permis de faire un pas en avant. J'y avais été. Je savais. J'avais vu.

J'ai rencontré Mathias en 2018, à une époque où j'étais émotionnellement disponible, sans a priori ni critique. Je crois en son honnêteté, en sa stabilité émotionnelle. Il exprime ce qu'il ressent. J'ai compris qu'on peut s'exprimer autrement qu'avec des mots. Avant lui, j'étais sûr que tout était voué à l'échec. Je lui fais également confiance en tant que père de notre enfant. Nous nous sommes rapidement mis d'accord sur l'envie de fonder une famille. Un enfant n'est pas une béquille, il ne vient pas combler un vide affectif. Je suis tombée enceinte très vite. Ma grossesse m'a rendu encore plus vulnérable. J'avais peur de ne pas trouver ma place de mère. Au début, je partageais beaucoup avec mes parents. Mais depuis que mon fils est né, notre lien est devenu clair : je le protège sans le surprotéger. J'ai besoin d'être avec lui, que nous soyons tous les trois dans une bulle.

Cette image, je l'ai toujours, et je ne l'oublierai pas. Elle me fait mal. Je m'imaginais à sa place. Mais mon fils aura sa vie, moins parasitée que la mienne je l'espère, par la peur de l'abandon et de la solitude. Je souris, parce que je suis sûr que le meilleur est à venir, à partir du jour où nous le déciderons. 

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Ce témoignage est tiré du livre « De l'abandon à l'adoption », d'Alice Marchandeau

De l'abandon à l'adoption, il n'y a qu'un pas, qui peut parfois mettre plusieurs années à se matérialiser. Le couple heureux qui attend un enfant, et, de l'autre côté, l'enfant qui n'attend qu'une famille pour s'épanouir. D'ici là, le scénario est idéal. Mais ne serait-ce pas plus subtil ? La blessure causée par l'abandon guérit difficilement. Peur d'être à nouveau abandonné, se sentir mis de côté… L'auteur, enfant adopté, nous donne ici à voir les différents aspects d'une vie blessée, jusqu'au retour aux sources, dans le pays d'origine de l'enfant adopté, et les bouleversements qui cela implique. Ce livre est aussi une preuve forte que le traumatisme de l'abandon est surmonté, qu'il est possible de se construire une vie, sociale, affective, amoureuse. Ce témoignage est chargé d'émotions, qui parlera à tous, adoptants ou adoptés.

Par Alice Marchandeau, éd. Gratuit Auteurs, 12 €, www.les-auteurs-libres.com/De-l-abandon-al-adoption

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