Témoignage de parents : « Je n'ai pas la même couleur de peau que mon enfant »

« Ma fille pensait que nous étions nés blancs et que nous devenions noirs en grandissant… »

 Le témoignage de Maryam, 42 ans, et Paloma, 10 ans

J'ai adopté Paloma après la mort de mon cousin. Paloma avait alors un peu plus de 3 ans. Quand elle était petite, elle pensait que tu étais né blanc et que tu devenais noir en grandissant. Elle était sûre que sa peau ressemblerait à la mienne plus tard. Elle a été assez déçue quand je lui ai expliqué que ce n'était pas vraiment comme ça. Je lui ai parlé du métissage, de mes parents, de notre famille, de son histoire. Elle l'a très bien compris. Elle m'a dit un jour "Je suis peut-être blanc à l'extérieur, mais noir dans mon cœur." Plus récemment, elle m'a dit "ce qui compte c'est ce qu'il y a dans le coeur". Inarrêtable !

Comme toutes les petites filles, elle veut ce qu'elle n'a pas. Paloma a les cheveux raides et rêve d'avoir des tresses, des rajouts, des cheveux gonflés « comme un nuage », comme la coiffure afro que j'avais depuis un moment. Elle trouve mon nez très beau. Dans sa façon de parler, dans ses expressions, elle me ressemble beaucoup. L'été, toute bronzée, on la prend pour un métis et il n'est pas rare que les gens pensent qu'elle est ma fille biologique !

Nous nous sommes installés à Marseille où j'ai cherché une école adaptée à ses besoins, à son histoire assez lourde. Elle est dans une école d'une grande diversité qui applique la pédagogie Freinet, avec un apprentissage qui s'adapte à chaque enfant, avec des cours organisés en double niveau, où les enfants se responsabilisent, apprennent de manière assez autonome et à leur rythme. . Cela correspond à l'éducation que je lui donne et me réconcilie avec l'école, que je détestais personnellement. Tout se passe très bien, elle est avec des enfants de tous horizons. Mais je la prépare un peu au collège, aux questions qu'on peut lui poser, aux réflexions qu'elle pourra peut-être entendre.

On parle beaucoup de racisme, de la façon dont la couleur de la peau peut déterminer comment une personne sera traitée. Je lui dis qu'en tant que maman noire, peut-être que je serai regardée différemment. On parle de tout, colonialisme, George Floyd, écologie… Pour moi, c'est important de tout lui expliquer, il n'y a pas de tabou. Ce que je vis avec Paloma est assez différent de ce que j'ai vécu avec ma mère qui est blanche. Elle devait aller au front tout le temps, me défendre, faire face à des pensées racistes. Aujourd'hui, je ne sais pas si c'est parce que Paloma a la peau plus claire, si c'est mes six pieds et mon crâne rasé qui l'imposent, qui forcent le respect, si c'est grâce à la diversité marseillaise, mais ça se passe plutôt bien. "

« J'ai l'impression que c'est plus facile pour mes enfants, par rapport à ce que j'ai vécu étant enfant. "

Le témoignage de Pierre, 37 ans, père de Lino, 13 ans, Numa, 10 ans et Rita, 8 ans

Quand j'étais enfant, on pensait toujours que j'étais adopté. Il fallait toujours expliquer que j'étais bien le fils de mon père, car il est blanc. Lorsque nous allions faire les courses ensemble, mon père devait justifier ma présence en précisant que je l'accompagnais. Il n'était pas rare que les gens me suivent dans le magasin ou regardent de travers. Quand nous sommes allés au Brésil, d'où ma mère est originaire, mon père a dû prouver à nouveau notre filiation. C'était fatiguant. J'ai grandi dans un milieu assez aisé, pas vraiment métissé. J'étais souvent le seul noir de ma scolarité. J'ai entendu beaucoup de propos un peu borderline, ponctués d'un « ah mais toi, c'est pas pareil ». J'étais l'exception et ces remarques doivent être prises comme un compliment. Je dis souvent, en plaisantant, que j'ai parfois l'impression d'être un « faux », un blanc dans un corps de noir.

J'ai l'impression que c'est différent pour mes enfants, trois petites blondes ! Il n'y a pas trop cette présomption d'adoption dans ce sens. Les gens pourraient être surpris, ils pourraient se dire « hé, ils ne se ressemblent pas », mais c'est tout. En fait, je ressens les regards curieux lorsque nous sommes tous ensemble dans un café-terrasse et que l'un d'eux m'appelle papa. Mais ça me fait plutôt rire. Et j'y joue aussi : j'ai appris que mon fils aîné était embêté à l'école. Je suis allé le chercher un jour après avoir quitté le collège. Avec mon afro, mes tatouages, mes bagues, ça a fait son effet. Depuis, les enfants l'ont laissé tranquille. Plus récemment encore, Lino m'a dit, quand je suis allé le chercher à la piscine : « Je suis sûr qu'ils te prennent pour ma femme de ménage ou mon chauffeur ». Sous-entendu : ces crétins racistes. Je n'ai pas trop réagi sur le coup, c'est la première fois qu'il me dit quelque chose comme ça, ça m'a surpris. Il doit entendre des choses à l'école ou ailleurs et cela peut devenir un sujet, une préoccupation pour lui.

Mes deux autres enfants sont persuadés qu'ils sont métis, comme moi, alors qu'ils sont blonds et plutôt blonds ! Ils sont profondément associés à la culture brésilienne, ils veulent parler portugais et passer leur temps à danser, surtout ma fille. Pour eux, le Brésil est carnaval, musique, danse tout le temps. Ils n'ont pas tout à fait tort… D'autant plus qu'ils ont l'habitude de voir ma mère danser partout, même dans la cuisine. J'essaye donc de leur transmettre ce double héritage, de leur apprendre le portugais. Nous devions aller au Brésil cet été, mais la pandémie y est passée. Ce voyage reste au programme. "

« J'ai dû apprendre à coiffer les cheveux de ma fille. "

Le témoignage de Frédérique, 46 ans, maman de Fleur, 13 ans.

Je vis à Londres depuis plus de vingt ans et Fleur y est née. Elle est métisse par son père qui est anglais et écossais, d'origine antillaise, originaire de Sainte-Lucie. J'ai donc dû apprendre à coiffer les cheveux naturels de ma petite fille. Pas facile ! Au début, je testais des produits pour les nourrir et les démêler, des produits qui n'étaient pas toujours très adaptés. J'ai demandé conseil à mes amis noirs, j'ai aussi vérifié auprès des magasins spécialisés de mon quartier pour savoir quels produits utiliser sur ces cheveux. Et j'avoue, j'ai aussi dû improviser, comme beaucoup de parents. Aujourd'hui, elle a ses habitudes, ses produits et elle se coiffe toute seule.

Nous vivons dans un quartier de Londres où il y a un grand mélange de cultures et de religions. L'école de Fleur est très mixte, tant socialement que culturellement. Les meilleurs amis de ma fille sont japonais, écossais, caribéens et anglais. Ils mangent les uns des autres, découvrent les spécialités de chacun. Je n'ai jamais ressenti de racisme ici contre ma fille. C'est peut-être dû à la mixité de la ville, de mon quartier ou de l'effort qui est fait, aussi à l'école. Chaque année, à l'occasion du « Black History Month », les élèves apprennent, dès l'école primaire, l'esclavage, les œuvres et la vie d'auteurs noirs, des chansons. Cette année, l'Empire britannique et la colonisation anglaise sont au programme, un sujet qui révolte ma fille !

Avec le mouvement « Black Lives Matter », Fleur a été assez secouée par la nouvelle. Elle fait des dessins pour accompagner le mouvement, elle se sent concernée. On en parle beaucoup à la maison, avec ma compagne aussi, qui est très impliquée dans ces dossiers.

C'est lors de nos allers-retours en France que j'ai été témoin de pensées racistes à propos de ma fille, mais c'était, heureusement, assez anecdotique. Plus récemment, Fleur a été choquée de voir dans une maison familiale une grande statue d'un marié noir, en mode serviteur, avec des gants blancs. Elle m'a demandé si c'était normal d'avoir ça à la maison. Non, pas vraiment, et ça m'a toujours énervé. On m'a dit que ce n'était pas forcément malveillant ou raciste, que ce type de décoration aurait pu être à la mode. C'est un argument que je n'ai jamais trouvé très convaincant, mais je n'ai pas encore osé aborder le sujet de front. Peut-être que Fleur osera, plus tard… »

Propos recueillis par Sidonie Sigrist

 

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