Témoignage : « J'ai donné un rein à mon fils »

Ma motivation première est la même que celle de mon père : la santé de Lucas, mais je suis frappée par d'autres questions : ne donnerais-je pas spécialement pour moi ? Ne serait-ce pas un cadeau un peu égoïste qui vient réparer une grossesse difficile depuis que Lucas est né prématurément ? J'aurais besoin de discuter de ce voyage intérieur avec mon futur ex-mari. Enfin, nous avons une discussion et je suis déçu et blessé par ce qui sort. Pour lui, qu'il soit donneur ou que ce soit moi, c'est « pareil ». Il aborde la question exclusivement du point de vue de la santé de notre fils. Heureusement, j'ai des amis avec qui je peux discuter de sujets spirituels. Avec eux, j'évoque la masculinité d'un organe comme le rein et je finis par en déduire qu'il vaudrait mieux que le don fait à Lucas, qui a besoin de couper le cordon avec sa mère, vienne de son père. Mais quand je l'explique à mon ex, ça tique. Il m'a vu motivé, et du coup je lui montre qu'il sera un donneur plus approprié que moi. Les reins représentent nos racines, notre héritage. En médecine chinoise, l'énergie des reins est l'énergie sexuelle. Dans la philosophie chinoise, le rein emmagasine l'essence de l'être… Alors j'en suis sûr, lui ou moi, ce n'est pas pareil. Car dans ce don, chacun commet un geste différent, chargé de sa propre symbolique. Il faut voir au-delà de l'organe physique qui est « le même ». J'essaie à nouveau de lui expliquer mes raisons, mais je le sens en colère. Il ne veut probablement plus faire ce don, mais il décide qu'il le fera. Mais finalement, les examens médicaux sont plus favorables à un don de ma part. Je serai donc le donateur. 

Je vois cette expérience de don d'organes comme un voyage initiatique et il est temps d'annoncer à mon fils que je serai donneur. Il me demande pourquoi moi plutôt que son père : j'explique qu'au début, mes émotions prenaient trop de place et je développe mon histoire masculin-féminin qu'il écoute d'une oreille distraite : ce n'est pas son truc. ces interprétations ! Pour être honnête, j'ai pensé qu'il était juste que son père ait eu l'opportunité d'« accoucher » puisque c'est moi qui ai eu cette chance la première fois. D'autres questions se posent lorsque vous faites un don de rein. Je donne, d'accord, mais après c'est à mon fils de suivre ses traitements pour éviter le rejet. Et je reconnais que parfois je ressens de la colère quand je le sens immature. J'ai besoin qu'il mesure la portée de cet acte, qu'il soit prêt à le recevoir, c'est-à-dire qu'il se montre mûr et responsable de sa santé. À mesure que la greffe approche, je me sens plus anxieux.

C'est une journée intense d'émotion. L'opération devrait durer trois heures, et nous descendons au bloc en même temps. Lorsque j'ouvre les yeux en salle de réveil et que je rencontre ses magnifiques yeux bleus, je baigne dans un bien-être. Ensuite, nous partageons les laids plateaux-repas des soins intensifs sans sel, et mon fils m'appelle sa « mère de la nuit » quand je parviens à me lever et à lui faire un câlin. On supporte la vilaine injection d'anticoagulant ensemble, on rigole, on se tire dessus, on vit côte à côte et c'est beau. Puis c'est le retour à la maison qui nécessite un certain deuil. Temps mort après la bataille. Que vais-je faire maintenant que c'est fait ? Vient ensuite le « rein-blues » : j'avais été prévenu… On dirait une dépression post-accouchement. Et c'est toute ma vie qui se déroule sous mes yeux : un mariage commencé sur de mauvaises bases, insatisfait, trop de dépendance affective, une profonde blessure à la naissance prématurée de mon enfant. Je sens le chevauchement de ses bleus intérieurs et je médite longuement. Il me faut du temps pour me dire que je suis une mère, vraiment, que la lumière m'enveloppe et me protège, que j'ai raison, que j'ai bien fait.

Ma cicatrice sur mon nombril est magnifique, ce qu'elle représente est magnifique. Pour moi, elle est un souvenir. Une trace magique qui m'a permis d'activer l'amour de soi. Bien sûr, j'ai fait un cadeau à mon fils, pour lui permettre de devenir un homme, mais surtout un cadeau à moi-même car ce voyage est un voyage intérieur et une rencontre vers soi. Grâce à ce don, je suis devenu plus authentique, et je suis de plus en plus en accord avec moi-même. Je découvre qu'au fond de moi, mon cœur rayonne d'amour. Et je veux dire : merci, Vie ! 

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