Antoine Leiris : "Avec Melvil, on a appris à revivre"

« Quand ma femme est décédée, mon besoin était de vivre dans l'utilitaire, afin de se sentir protégé et de pouvoir entourer au mieux Melvil. Mon chagrin était sans fin mais je devais prendre soin de notre enfant. Souvent, j'ai eu envie de l'emballer dans du papier bulle et de le glisser dans un tiroir pour qu'il ne lui arrive rien, mais je m'obligeais à bien le faire, l'envoyant parfois à ses risques ou à ses risques. responsabilités d'un petit homme. En fait, je voulais être un père parfait, dix sur dix tous les jours. D'ailleurs, j'ai même mis en place un système de notation. Je me retirais des points si Melvil n'avait pas eu le temps de prendre son petit déjeuner assis à table parce que je n'avais pas été assez précis sur l'heure du réveil. J'enlevais des points si je lui mettais un gâteau au chocolat dans la bouche à la place d'une tranche de pain frais, je me sanctionnais en fin de journée, récapitulant chaque échec, visant toujours mieux pour le lendemain.

La peur de ne pas en faire assez pour mon fils, ou de ne pas y mettre assez de cœur, m'était intolérable. Ai-je joué dans le parc avec assez d'enthousiasme ? Avais-je lu une histoire en étant présent ? L'avais-je câliné assez intensément ? Il n'avait plus de mère, je devais être les deux, mais comme je ne pouvais être qu'un père, il le fallait absolument. Un défi mécanique, une pression totale, pour que l'émotion ne vienne jamais entraver ma reconstruction. Un résultat auquel je n'ai même pas pensé. Surtout, mon deuil ne doit pas m'entraîner vers le bas car je savais que le précipice n'aurait pas de fond. Alors je me suis levé, comme le bras d'une machine-outil, avec force et mécaniquement, emportant mon petit garçon au bout de ma pince mobile. Parfois aveuglé par ce mécanisme, j'ai échoué. Il m'est arrivé de ne pas voir qu'il avait de la fièvre, de ne pas sentir qu'il avait mal, de s'énerver, de paniquer devant son « non ». Voulant trop être parfait, j'ai oublié d'être humain. Ma colère était parfois trop intense.

Et puis, un jour bien précis, je pense que les choses ont changé. J'ai marché à reculons jusqu'à la représentation théâtrale de mon premier livre. Je l'ai fait en secret, gêné d'être reconnu dans la pièce. J'étais terrifiée d'être là mais prête à affronter mon personnage. Cependant, lorsque l'acteur qui est entré en scène a dit le texte, je n'ai vu qu'un seul personnage, quelqu'un de très juste, bien sûr, mais très éloigné de moi. J'ai donc pu le laisser dans la salle quand je suis parti, l'abandonner à son théâtre, à sa répétition, racontant chaque soir une histoire qui ne m'appartenait plus et que j'ai le sentiment d'avoir volé un peu à Hélène . aussi, l'exposant par mon histoire pour que tous voient. J'ai raconté mes premiers pas de papa tout seul, l'anecdote des mamans à la crèche faisant de la purée et des compotes pour mon fils, ou encore un mot de ce voisin du palier que je ne connaissais pas, me proposant de m'aider avec Melvil si nécessaire… Toutes ces choses semblaient loin. Je les avais surmontés.

Comme il y a eu un avant et un après la mort d'Helena, il y a eu un avant et un après cette soirée au théâtre. Être un bon père a continué à être ma motivation, mais pas de la même manière. J'y ai mis mon énergie mais j'y ai mis une autre âme, plus proche de la mienne cette fois. J'ai admis que je pouvais être un papa normal, me tromper, changer d'avis.

Petit à petit, j'ai senti que je pouvais revivre pleinement des émotions, comme le jour où j'ai emmené Melvil prendre une glace dans le parc où sa mère et moi nous sommes rencontrés.

Je n'ai pas eu à trier ce souvenir pour le mettre à la poubelle, comme j'ai dû le faire avec certaines des affaires d'Hélène. Il n'avait pas ce goût insupportable des mois précédents. J'ai enfin pu me tourner paisiblement vers la mémoire. J'ai donc voulu montrer à mon fils qu'avant d'être un « papa parfait », j'étais moi aussi un enfant, un enfant qui va à l'école, qui joue, qui tombe, mais aussi un enfant. enfant qui a des parents qui se déchirent, et une mère qui meurt trop tôt… J'ai emmené Melvil dans les lieux de mon enfance. Notre complicité n'en était que plus grande. Je comprends ses rires et je comprends ses silences. Les miens sont si proches des siens.

Quelques années après la mort d'Hélène, j'ai rencontré une femme avec qui j'ai pensé possible de déménager. Je n'ai pas réussi à ouvrir le cercle que Melvil et moi formons maintenant, un tout inséparable. C'est difficile de faire de la place pour quelqu'un. Pourtant, la joie est revenue. Hélène n'est pas un nom tabou. Elle n'est plus ce fantôme qui hantait notre maison. Elle la peuple maintenant, elle est avec nous. " 

Extraits du livre d'Antoine Leiris « La vie, après » éd. Robert Lafont. 

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