Mieux comprendre l'obésité

Mieux comprendre l'obésité

Une entrevue avec Angelo Tremblay

« L'obésité est une question fascinante pour le physiologiste que je suis. C'est vraiment la question de la relation des individus avec leur environnement. Nous avons dû nous ajuster pour maintenir des équilibres différents dans un contexte (famille, travail, société) qui a peut-être trop changé par rapport à ce que nous étions prêts à tolérer. "

 

Angelo Tremblay est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en activité physique, nutrition et équilibre énergétique1. Il est professeur titulaire, à l'Université Laval, au Département de médecine sociale et préventive, Division de kinésiologie2. Il collabore également avec la Chaire Obésité3. Il dirige notamment un groupe de recherche sur les facteurs prédisposant à l'obésité.

 

 

PASSPORTSHEALTH.NET – Quelles sont les principales causes de l'épidémie d'obésité ?

Pr Angélo Tremblay – Bien sûr, la malbouffe et le manque d'exercice sont en cause, mais il y a aussi le stress, le manque de sommeil et la pollution, par exemple.

Les polluants organochlorés, tels que certains insecticides et pesticides, ont été interdits, mais ils persistent dans l'environnement. Nous sommes tous pollués, mais les personnes obèses le sont davantage. Pourquoi? Le gain de graisse corporelle a-t-il donné au corps une solution pour mettre ces polluants hors de danger ? Les polluants s'accumulent en effet dans le tissu adipeux et tant qu'ils y « dorment », ils ne sont pas dérangeants. C'est une hypothèse.

De plus, lorsque la personne obèse perd du poids, ces polluants deviennent hyperconcentrés, ce qui pourrait provoquer la prise de poids chez quelqu'un qui en a perdu beaucoup. En effet, chez l'animal, une concentration plus importante de polluants est associée à plusieurs effets métaboliques qui nuisent aux mécanismes permettant de brûler les calories : diminution marquée des hormones thyroïdiennes et de leur concentration, diminution de la dépense énergétique au repos, etc.

Du côté du sommeil, des études indiquent que les petits dormeurs sont plus susceptibles d'être en surpoids. Les données expérimentales nous aident à comprendre pourquoi : lorsque vous ne dormez pas suffisamment, la leptine, une hormone de la satiété, diminue ; tandis que la grheline, une hormone qui stimule l'appétit, augmente.

PASSEPORTSANTÉ.NET – La sédentarité a-t-elle aussi un impact ?

Pr Angélo Tremblay – Oui tout à fait. Lorsque nous exerçons un métier sédentaire, est-ce le stress de la sollicitation mentale qui nous déstabilise, ou est-ce le manque de stimulation physique ? Nous avons des données préliminaires qui indiquent que le travail mental augmente l'appétit. Les sujets qui ont lu et résumé un texte par écrit pendant 45 minutes ont mangé 200 calories de plus que ceux qui ont pris 45 minutes de repos, même s'ils n'avaient pas dépensé plus d'énergie.

En kinésiologie, nous étudions depuis des années les divers impacts de l'activité physique sur nos vies. Comment se fait-il que l'on ne se focalise pas davantage sur les effets du travail mental, dimension pourtant bien plus sollicitée qu'au temps de nos ancêtres ?

PASSPORTSHEALTH.NET – Qu'en est-il des facteurs psychologiques ? Jouent-ils un rôle dans l'obésité ?

Pr Angélo Tremblay - Oui. Ce sont des facteurs que nous aimons citer, mais auxquels nous n'accordons pas beaucoup d'importance. Le stress d'une grande épreuve, la mort, la perte d'emploi, les grands défis professionnels qui dépassent nos capacités peuvent jouer un rôle dans la prise de poids. Une étude menée par des chercheurs à Toronto en 1985 a révélé que 75 % des cas d'obésité chez les adultes étaient dus à une perturbation importante de leur trajectoire de vie. Les résultats d'une étude sur des enfants suédois et d'une autre aux États-Unis vont dans le même sens.

Pourtant, la détresse psychologique ne diminue pas, bien au contraire ! Le contexte actuel de mondialisation accroît l'exigence de performance à tout prix et provoque de nombreuses fermetures d'usines.

Nous avons tendance à penser qu'un facteur psychologique ne modifie pas le bilan énergétique, mais je pense que c'est une erreur. Beaucoup de choses sont interdépendantes. Je ne serais pas surpris si le stress psychologique avait des effets mesurables sur les variables biologiques qui affectent la prise alimentaire, la dépense énergétique, l'utilisation de l'énergie par le corps, etc. Ce sont des aspects qui n'ont pas encore été bien étudiés. Bien sûr, certaines personnes deviennent obèses à cause de la « convoitise de la vie quotidienne », mais d'autres le sont à cause du « chagrin d'amour de la vie quotidienne ».

PASSPORTSHEALTH.NET – Quel est le rôle des facteurs génétiques dans l'obésité ?

Pr Angélo Tremblay – C'est difficile à quantifier, mais à notre connaissance, l'obésité n'est pas causée par des mutations génétiques. Nous avons à peu près le même ADN que "Robin Hood". Jusqu'à présent, cependant, la contribution de la génétique de l'obésité s'est davantage concentrée sur les aspects physiques de la personne. Par exemple, la neuromédine (une hormone) découverte à l'Université Laval a permis d'établir un lien entre un gène et des comportements alimentaires qui contribuent à l'obésité. Et nous pourrions découvrir d'autres variations génétiques de l'ADN liées à des traits psychologiques conduisant à une suralimentation.

Je pense qu'il est très clair qu'il y a des individus qui sont plus sensibles que d'autres à l'environnement obésogène actuel, et que leur susceptibilité s'explique en partie par des caractéristiques génétiques que nous n'avons pas encore. défini. C'est dommage, mais nous ne savons pas exactement ce que nous faisons. Nous traitons un problème que nous ne connaissons pas très bien et, ce faisant, nous avons du mal à trouver des solutions efficaces.

PASSPORTSHEALTH.NET – Quelles sont les voies les plus prometteuses dans le traitement de l'obésité ?

Pr Angélo Tremblay – Il est très important de mieux comprendre et de mieux diagnostiquer pour mieux intervenir. L'obésité est actuellement un problème que nous ne comprenons pas entièrement. Et jusqu'à ce que le thérapeute soit pleinement conscient de ce qui cause un problème chez un individu donné, il ou elle court un risque élevé de toucher la mauvaise cible.

Bien sûr, cela favorisera un bilan calorique négatif. Mais que se passe-t-il si mon problème est d'être triste et que la seule gratification qui me reste est de manger certains aliments qui me rendent heureux ? Si le thérapeute me donne une pilule amaigrissante, il y aura un effet transitoire, mais cela ne résoudra pas mon problème. La solution n'est pas de cibler mes récepteurs bêta-adrénergiques avec un médicament. La solution est de me donner plus de bonheur dans la vie.

Lorsqu'un médicament agit en ciblant un certain type de récepteur, la logique voudrait que ce type d'anomalie soit trouvé chez le patient avant qu'il ne soit administré. Mais ce n'est pas ce qui se passe. Ces médicaments servent de béquilles pour compenser une réalité mal caractérisée. Il ne faut donc pas s'étonner que lorsque vous arrêtez de prendre le médicament, le problème réapparaisse. Il ne faut pas non plus s'étonner que lorsque le médicament a donné son effet maximal, soit après trois ou six mois, les causes de l'obésité réapparaissent. Nous avons gagné une petite bataille, mais pas la guerre…

Concernant l'approche diététique, il faut la gérer avec prudence. Il faut tenir compte de ce dont la personne peut s'occuper à un moment précis. De temps en temps, je rappelle aux diététiciennes avec lesquelles je travaille de faire attention à la machette : couper drastiquement certains aliments peut ne pas être un traitement approprié, même si ces produits ne sont pas sains. Il est important de faire autant de changements que possible, mais ces changements doivent être compatibles avec ce que la personne peut et veut changer dans sa vie. Nos connaissances ne sont pas toujours applicables comme c'est le cas dans certaines situations.

PASSEPORTSANTÉ.NET – L'obésité est-elle réversible au niveau individuel et collectif ?

Pr Angélo Tremblay – C'est certainement en partie au niveau individuel, si l'on regarde les succès obtenus par les 4 sujets de recherche inscrits au Registre National de Contrôle du Poids.4 les États Unis. Ces personnes ont perdu beaucoup de poids et ont ensuite maintenu leur poids pendant de longues périodes. Bien sûr, ils ont apporté des changements très importants dans leur mode de vie. Cela nécessite un grand engagement personnel et le soutien d'un professionnel de la santé qui saura faire des recommandations appropriées.

Cependant, ma curiosité reste insatisfaite sur certains points. Par exemple, se pourrait-il qu'une prise de poids importante puisse induire des adaptations biologiques irréversibles, même si nous perdons du poids ? Une cellule adipeuse, qui a traversé un cycle de gain et de perte de poids, redevient-elle exactement la même cellule, comme si elle n'avait jamais grossi ? Je ne sais pas. Le fait qu'une majorité d'individus aient de grandes difficultés à perdre du poids justifie la question.

On peut aussi s'interroger sur le « coefficient de difficulté » représenté par le maintien du poids après une perte de poids. Peut-être qu'il faut beaucoup plus de vigilance et de perfectionnisme de style de vie que l'effort qui devrait être fourni avant de prendre du poids. Ce type d'argument, bien sûr, nous amène à dire que la prévention est le meilleur traitement, car même un traitement réussi peut ne pas être une thérapie complète pour l'obésité. C'est dommage, mais cette possibilité n'est pas à exclure.

Collectivement, soyons optimistes et prions pour que l'épidémie soit réversible ! Mais, force est de constater qu'actuellement, plusieurs facteurs augmentent le coefficient de difficulté à maintenir un poids santé. J'ai évoqué le stress et la pollution, mais la pauvreté peut aussi jouer un rôle. Et ces facteurs ne diminuent pas dans un contexte de mondialisation. D'autre part, le culte de la beauté et de la minceur contribue aux troubles alimentaires, qui avec le temps peuvent provoquer le phénomène de rebond que j'évoquais plus haut.

PASSPORTSHEALTH.NET – Comment prévenir l'obésité ?

Pr Angélo Tremblay – Avoir un mode de vie sain autant que possible. Bien sûr, vous ne pouvez pas tout changer ou complètement vous métamorphoser. L'objectif premier n'est pas la perte de poids, mais la mise en place de changements favorisant un bilan calorique négatif :

-Une petite balade ? Bien sûr, c'est mieux que rien.

-Mettre un peu de piment5, quatre fois par semaine dans un repas ? Essayer.

-Prendre du lait écrémé au lieu d'une boisson gazeuse ? Sûrement.

-Réduire les sucreries ? Oui, et c'est bien pour d'autres raisons.

Quand on met en pratique plusieurs changements de ce type, il arrive un peu ce qu'on nous disait quand on nous faisait le catéchisme : « Faites ceci et le reste vous sera donné en plus. La perte de poids et le maintien du poids viennent d'eux-mêmes et c'est le corps qui décide du seuil au-delà duquel il n'est plus capable de perdre de la graisse. On peut toujours franchir ce seuil, mais cela risque de devenir une bataille que l'on ne gagne qu'un certain temps, car la nature risque de reprendre ses droits.

D'autres pistes…

Allaitement maternel. Il n'y a pas de consensus, car les études diffèrent par leur contexte, leur stratégie expérimentale, leur population. Cependant, quand on regarde toutes les données, on constate que l'allaitement semble avoir un effet protecteur sur l'obésité.

Tabagisme pendant la grossesse. Le bébé qui a « fumé » a un poids de naissance inférieur, mais ce que l'on observe aussi, c'est qu'il est potelé quelques années plus tard. Alors le corps de l'enfant « rebondit ». Il se comporte comme un chat ébouillanté, comme s'il ne voulait pas revenir à un petit poids.

Leptine. C'est un messager du tissu adipeux qui a des effets rassasiants et thermogéniques, c'est-à-dire qu'il diminue les apports alimentaires et augmente un peu la dépense énergétique. Comme chez les personnes obèses, il y a plus de leptine en circulation, il a été émis l'hypothèse qu'il existe une « résistance » à la leptine, mais cela n'a pas encore été clairement démontré. Nous avons également appris que cette hormone influence le système reproducteur et peut avoir des effets anti-stress.

Le mini yo-yo de l'insécurité alimentaire. Lorsque vous avez assez à manger pendant un certain temps et qu'à un autre moment vous devez vous restreindre par manque d'argent, le corps subit un phénomène de yo-yo. Ce mini yo-yo, physiologiquement parlant, n'est pas favorable à l'équilibre énergétique, car le corps a tendance à « rebondir ». Je ne serais pas étonné que certaines familles assistées sociales vivent ce genre de situation.

Évolution et vie moderne. Le mode de vie sédentaire du monde moderne a complètement remis en cause les activités physiques sur lesquelles repose la sélection naturelle de l'espèce humaine. Il y a 10 ans, il y a 000 ans, il fallait être un athlète pour survivre. Ce sont les gènes de l'athlète qui nous ont été transmis : l'évolution de la race humaine ne nous a donc pas du tout préparés à être sédentaires et gloutonnes !

L'éducation par l'exemple. Apprendre à bien manger à la maison et à l'école fait partie d'un mode de vie sain auquel les enfants doivent être exposés, de même qu'il est jugé important de leur apprendre le français et les mathématiques. C'est un ingrédient essentiel des bonnes manières. Mais les cafétérias et les distributeurs automatiques scolaires devraient montrer l'exemple !

 

Françoise Ruby - PasseportSanté.net

Le 26 septembre 2005

 

1. Pour en savoir plus sur les projets de recherche d'Angelo Tremblay et la Chaire de recherche du Canada en activité physique, nutrition et bilan énergétique : www.vrr.ulaval.ca/bd/projet/fiche/73430.html

2.Pour en savoir plus sur la kinésiologie : www.usherbrooke.ca

3. Le site Internet de la Chaire en obésité de l'Université Laval : www.obesite.chaire.ulaval.ca/menu_f.html

4. Registre national de contrôle du poids : www.nwcr.ws

5. Voir nos nouveaux fruits et légumes prendre les kilos en trop.

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