Psychologie

Par quelles étapes de développement un couple passe-t-il ? Quand les conflits sont-ils inévitables dans une vie à deux ? Qu'est-ce qui change l'apparence d'un enfant? Comment s'organisent les familles à l'ère de l'individualisme ? L'avis du psychanalyste Eric Smadzh.

Le psychanalyste français Eric Smadja vient à Moscou pour présenter l'édition russe de son livre sur les couples modernes et animer un séminaire de deux jours dans le cadre du programme de master en psychothérapie psychanalytique de l'École supérieure d'économie de l'Université nationale de recherche.

Nous lui avons demandé ce qu'il pensait d'une union amoureuse aujourd'hui.

Psychologies : La culture moderne de l'individualisme influence-t-elle l'idée du type de couple que nous aimerions construire ?

Éric Smadja : Notre société se caractérise par un individualisme toujours plus grand. Les couples modernes sont instables, fragiles, divers et exigeants dans leurs relations. C'est ma conception d'un couple moderne. Ces quatre propriétés expriment l'influence de l'individualisme sur la constitution du couple. Aujourd'hui, l'un des principaux conflits dans tout couple est l'opposition des intérêts narcissiques et des intérêts du partenaire et du couple dans son ensemble.

Et nous voilà face à un paradoxe : l'individualisme règne dans la société moderne, et la vie de couple nous oblige à renoncer à certains de nos besoins individuels pour partager la vie familiale et en faire notre priorité. Notre société est paradoxale, elle nous impose des attitudes paradoxales. D'une part, elle encourage l'individualisme croissant, mais d'autre part, elle impose des comportements universels et homogènes à tous ses membres : nous devons tous consommer la même chose, nous comporter de la même manière, penser de la même manière...

Il semblerait que nous ayons la liberté de penser, mais si nous pensons différemment des autres, ils nous regardent de travers, et parfois ils nous perçoivent comme des parias. Lorsque vous allez dans un grand centre commercial, vous y voyez les mêmes marques. Que vous soyez russe, argentin, américain ou français, vous achetez la même chose.

Quelle est la chose la plus difficile dans la vie à deux ?

Il n'y a pas de plus difficile, il y a plusieurs difficultés qui le seront toujours. Vivre « avec soi-même » est déjà assez difficile, vivre avec une autre personne l'est encore plus, même si vous êtes liés par un grand amour. Quand on a affaire à une autre personne, c'est difficile pour nous, parce qu'il est différent. Nous avons affaire à l'altérité, pas à notre homologue narcissique.

Chaque couple est confronté à un conflit. Premier conflit – entre identité et altérité, entre « je » et « autre ». Même si mentalement nous sommes conscients de nos différences, sur le plan mental il nous est difficile d'accepter que l'autre soit différent de nous. C'est là que toute la force de notre narcissisme, omnipotent et dictatorial, entre en jeu. Deuxième conflit se manifeste dans la recherche d'un équilibre entre les intérêts narcissiques et les intérêts de l'objet, entre mes propres intérêts et les intérêts d'autrui.

Le couple traverse des périodes de crise. C'est inévitable, car un couple est un organisme vivant qui évolue

Troisième conflit : le rapport hommes/femmes chez chacun des partenaires, en commençant par le sexe et en terminant par les rôles de genre dans la famille et dans la société. Enfin, quatrième conflit — le rapport de l'amour et de la haine, Eros et Thanatos, qui sont toujours présents dans nos relations.

Une autre source de confusion - transférer. Chacun des partenaires pour l'autre est une figure de transfert par rapport aux frères, sœurs, mère, père. Ainsi, dans une relation avec un partenaire, nous rejouons divers scénarios issus de nos fantasmes ou de l'enfance. Tantôt un partenaire remplacera pour nous la figure d'un père, tantôt un frère. Ces figures transférentielles, incarnées par le partenaire, deviennent des complications dans la relation.

Enfin, comme toute personne, un couple traverse des périodes de crise dans son cycle de vie. C'est inévitable, car un couple est un organisme vivant qui évolue, change, traverse sa propre enfance et sa propre maturité.

Quand les crises surviennent-elles dans un couple ?

Le premier moment traumatisant est la rencontre. Même si on cherche cette rencontre et qu'on veut créer un couple, ça reste un traumatisme. Déjà pour une personne, c'est une période critique, puis cela le devient pour un couple, car c'est le moment de la naissance d'un couple. Puis nous commençons à vivre ensemble, à tripler notre vie commune, à nous habituer l'un à l'autre. Cette période peut se terminer par un mariage ou une autre manière d'officialiser une relation.

La troisième période critique est le désir ou le refus d'avoir un enfant, puis la naissance d'un enfant, la transition de deux à trois. C'est vraiment un énorme traumatisme pour chacun des parents et pour le couple. Même si vous vouliez un enfant, il reste un étranger, s'immisçant dans votre vie, dans le cocon protecteur de votre couple. Certains couples sont si bien ensemble qu'ils ont peur de l'apparition d'un enfant et n'en veulent pas. En général, cette histoire d'invasion est très intéressante car l'enfant est toujours un étranger. Dans la mesure où dans les sociétés traditionnelles il n'est pas du tout considéré comme humain, il doit être « humanisé » par des rituels afin de faire partie de la communauté afin d'être accepté.

La naissance d'un enfant est une source de traumatisme psychologique pour chacun des partenaires et pour l'état mental du couple.

Je dis tout cela au fait que la naissance d'un enfant est une source de traumatisme psychologique pour chacun des partenaires et pour l'état mental du couple. Les deux crises suivantes sont d'abord l'adolescence de l'enfant, puis le départ des enfants du foyer parental, le syndrome du nid vide, et le vieillissement des partenaires, la retraite, lorsqu'ils se retrouvent seuls entre eux, sans enfant et sans travail, deviennent grands-parents…

La vie de famille passe par des phases critiques qui nous changent et dans lesquelles nous grandissons, devenons plus sages. Chacun des partenaires doit apprendre à endurer les difficultés, les peurs, les insatisfactions, les conflits. Il faut utiliser la créativité de chacun au profit du couple. Pendant le conflit, il faut que chacun des partenaires sache user de son « bon masochisme ».

Qu'est-ce que le bon masochisme ? C'est utiliser notre capacité à supporter la frustration, à supporter les difficultés, à retarder le plaisir, à attendre. Dans les moments de conflit aigu, pour ne pas se séparer et survivre à cette épreuve, nous avons besoin de la capacité d'endurer, et c'est du bon masochisme.

Que ressentez-vous pour un couple qui ne veut pas ou ne peut pas avoir d'enfant ? Est-ce plus facile à accepter maintenant qu'avant ?

Contrairement à la société traditionnelle, les couples modernes adhèrent à diverses formes de vie conjugale et sexuelle. La famille moderne reconnaît le droit de ne pas avoir d'enfant. La société accepte les familles sans enfants, ainsi que les femmes célibataires avec un enfant et les hommes avec enfants. C'est peut-être l'un des grands changements de la société : si nous n'avons pas d'enfants, cela ne veut pas dire qu'ils vont nous montrer du doigt, que nous sommes pires que les autres, que nous sommes un couple de seconde zone. Pourtant, dans l'inconscient collectif et dans l'inconscient des individus, un couple sans enfant est perçu comme quelque chose d'étrange.

Mais encore une fois, tout dépend de quelle société on parle. Tout dépend de l'image d'un homme et d'une femme en tant que représentants de cette société. Par exemple, dans la société d'Afrique du Nord, si une femme n'a pas d'enfant, elle ne peut pas être considérée comme une femme, si un homme n'a pas d'enfant, il n'est pas un homme. Mais même dans la société occidentale, si vous n'avez pas d'enfants, les gens autour de vous commencent à en parler : c'est dommage qu'ils n'aient pas d'enfant, et pourquoi c'est ainsi, c'est trop égoïste, ils ont probablement une sorte de problèmes physiologiques.

Pourquoi les couples se séparent-ils encore ?

Les principales raisons de la séparation sont l'insatisfaction sexuelle et le manque de communication dans un couple. Si la vie sexuelle, que nous considérons aujourd'hui comme une grande valeur, en souffre, cela peut provoquer la séparation des partenaires. Ou si nous n'avons pas assez de relations sexuelles en couple, nous commençons à chercher la satisfaction sexuelle à côté. Lorsque le couple ne trouve plus d'issue, ils décident de partir.

La sur-identification à l'autre met en danger mon narcissisme et mon identité.

Un autre facteur — quand l'un des époux ne peut plus supporter de vivre ensemble, se précipite vers la liberté. Si l'un des partenaires accorde beaucoup d'attention et d'énergie à la famille, tandis que l'autre se concentre sur le développement personnel, alors le vivre ensemble perd son sens. Certaines personnes fragiles aux tendances narcissiques en viennent à la conclusion que « je ne peux plus vivre en couple, non pas parce que je n'aime plus, mais parce que cela détruit ma personnalité ». En d'autres termes, la sur-identification à l'autre met en danger mon narcissisme et mon auto-identification.

Dans quelle mesure les connexions extérieures sont-elles acceptables aujourd'hui ?

Dans un couple moderne, chaque partenaire doit avoir suffisamment de liberté. Les intérêts narcissiques individuels ont pris une grande importance. Il y a moins de restrictions. Mais sur le plan psychologique, un certain accord, un contrat narcissique, est conclu dans un couple. «Je t'ai choisi, nous nous sommes choisis, poussés par le désir d'exclusivité et l'éternité de notre relation.» En d'autres termes, je promets que vous êtes mon seul et unique partenaire et que je serai toujours avec vous. Cette idée est partagée par la conception chrétienne du mariage. Cette idée est peut-être dans notre tête, mais tout ne se passe pas toujours de cette façon.

On crée des couples, en supposant que l'autre nous séduira, qu'on aura des histoires d'amour avec les autres.

Freud disait que la libido de chacun des partenaires est changeante, elle vagabonde d'un objet à l'autre. Dès lors, l'accord initial est difficile à tenir tout au long de la vie commune, il se heurte à la variabilité de la libido. Alors aujourd'hui, avec la montée de l'individualisme et de la liberté, on crée des couples, en partant du principe que l'autre nous séduira, qu'on aura des histoires d'amour avec les autres. Tout dépend de l'évolution de chacun des partenaires au sein du couple, de son évolution mentale, et on ne peut pas le savoir à l'avance.

De plus, cela dépend de l'évolution du couple lui-même. Quel genre de culture du mariage a-t-il développé? Pouvons-nous, dans la culture familiale choisie, avec un certain partenaire, avoir d'autres relations étrangères ? Peut-être qu'il peut y avoir des histoires à côté qui ne blessent pas le partenaire et ne mettent pas en danger l'existence du couple.

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