Psychologie

Est-il possible d'éprouver de la joie et du bonheur lors d'un deuil sévère ? Comment survivre à des conflits qui ne disparaissent pas avec le départ d'êtres chers, continuant à nous déranger et à culpabiliser ? Et comment apprendre à vivre avec la mémoire des disparus, disent les psychologues.

"Dans la cafétéria du bureau, j'ai entendu une conversation pleine d'esprit entre deux femmes assises à proximité. C'était exactement le genre d'humour caustique que ma mère et moi apprécions tant. Maman semblait être en face de moi et nous avons commencé à rire de façon incontrôlable. Alexandra a 37 ans, il y a cinq ans sa mère est décédée subitement. Pendant deux ans, le deuil, «vivant comme une piqûre», ne lui a pas permis de mener une vie normale. Enfin, après plusieurs mois, les larmes ont cessé et, bien que la souffrance ne se soit pas calmée, elle s'est transformée en un sentiment de présence extérieure d'un être cher. «Je sens qu'elle est à côté de moi, calme et joyeuse, que nous avons à nouveau des affaires communes et des secrets., qui ont toujours été et n'ont pas disparu avec sa mort, dit Alexandra. C'est difficile à comprendre et à expliquer. Mon frère trouve tout cela étrange. Bien qu'il ne dise pas que je suis un peu ou même fou, il le pense clairement. Maintenant, je n'en parle à personne.»

Il n'est pas toujours facile de garder le contact avec les morts dans notre culture où il faut surmonter au plus vite son chagrin et regarder à nouveau le monde avec optimisme pour ne pas gêner les autres. « Nous avons perdu la capacité de comprendre les morts, leur existence, écrit l'ethnopsychologue Tobie Nathan. « Le seul lien que nous pouvons nous permettre d'avoir avec les morts est de sentir qu'ils sont encore vivants. Mais d'autres perçoivent souvent cela comme un signe de dépendance émotionnelle et d'infantilisme.1.

Longue route d'acceptation

Si nous pouvons nous connecter avec un être cher, le travail de deuil est fait. Chacun le fait à son rythme. « Pendant des semaines, des mois, des années, une personne en deuil va lutter avec tous ses sentiments, explique la psychothérapeute Nadine Beauthéac.2. - Chacun vit cette période différemment.: pour certains, le deuil ne lâche pas, pour d'autres il roule de temps en temps — mais pour tous il se termine par un retour à la vie.

"L'absence extérieure est remplacée par la présence intérieure"

Il ne s'agit pas d'accepter la perte — en principe, il est impossible d'accepter la perte d'un être cher — mais d'accepter ce qui s'est passé, de le réaliser, d'apprendre à vivre avec. De ce mouvement intérieur naît une nouvelle attitude face à la mort… et à la vie. « L'absence extérieure est remplacée par la présence intérieure, poursuit Nadine Boteac. "Et pas du tout parce que le défunt nous attire, que le deuil est impossible à vivre, ou que quelque chose ne va pas chez nous."

Il n'y a pas de règles générales ici. "Chacun gère sa souffrance du mieux qu'il peut. Il est important de s'écouter, et non de "bons conseils", prévient Nadine Boteak. — Après tout, disent-ils aux affligés : ne gardez pas tout ce qui vous rappelle le défunt ; ne parlez plus de lui; tant de temps s'est écoulé; la vie continue… Ce sont de fausses idées psychologiques qui provoquent de nouvelles souffrances et augmentent les sentiments de culpabilité et d'amertume.

Relations incomplètes

Une autre vérité : les conflits, les sentiments contradictoires que nous éprouvons par rapport à une personne, ne partent pas avec elle. "Ils vivent dans notre âme et sont une source d'ennuis", confirme la psychologue et psychanalyste Marie-Frédérique Bacqué. Des adolescents rebelles qui perdent un de leurs parents, des conjoints divorcés dont l'un décède, un adulte qui, dès sa jeunesse, a entretenu des relations hostiles avec sa sœur, décédée...

"Comme des liens avec des personnes vivantes : les relations seront réelles, bonnes et calmes lorsque nous comprendrons et accepterons les mérites et les démérites du défunt"

Comment survivre à une vague de sentiments contradictoires et ne pas commencer à se culpabiliser ? Mais ces sentiments viennent parfois. "Parfois sous couvert de rêves qui posent des questions difficiles", explique la psychologue. — Une attitude négative ou conflictuelle envers le défunt peut aussi se manifester sous la forme d'une maladie incompréhensible ou d'une profonde tristesse. Incapable de déterminer la source de sa souffrance, une personne peut souvent chercher de l'aide en vain. Et à la suite d'une psychothérapie ou d'une psychanalyse, il devient clair qu'il faut travailler les relations avec le défunt, et pour le client cela change tout.

Énergie vitale

Les liens avec les morts ont les mêmes propriétés que les liens avec les vivants.: les relations seront réelles, bonnes et calmes lorsque nous comprendrons et accepterons les mérites et les démérites du défunt et repenserons nos sentiments pour lui. "C'est le fruit du travail de deuil accompli : on revisite les éléments de la relation avec le défunt et on arrive à la conclusion qu'on a gardé quelque chose en mémoire de lui qui a permis ou nous permet encore de nous façonner", dit Marie -Frédéric Baquet.

Des vertus, des valeurs, des exemples parfois contradictoires, tout cela crée une énergie vitale qui se transmet de génération en génération. "L'honnêteté et la combativité de mon père restent en moi, comme un moteur vital", témoigne Philippe, 45 ans. "Sa mort il y a six ans m'a complètement paralysé. La vie est de retour quand j'ai commencé à sentir que son esprit, ses traits s'exprimaient en moi.


1 T. Nathan « La nouvelle interprétation des rêves »), Odile Jacob, 2011.

2 N.Beauthéac « Cent réponses aux questions sur le deuil et le chagrin » (Albin Michel, 2010).

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