« Dans les rêves, demain est né »

D'où viennent les rêves ? A quoi servent-ils ? Le professeur Michel Jouvet, le découvreur de la phase de sommeil paradoxal, répond.

Psychologies : Les rêves apparaissent pendant le sommeil paradoxal. De quoi s'agit-il et comment avez-vous réussi à découvrir l'existence de cette phase ?

Michel Jouvet : Le sommeil paradoxal a été découvert par notre laboratoire en 1959. En étudiant la formation des réflexes conditionnés chez les chats, nous avons enregistré de manière inattendue un phénomène étonnant qui n'avait été décrit nulle part auparavant. L'animal endormi a montré des mouvements oculaires rapides, une activité cérébrale intense, presque comme pendant l'éveil, tandis que les muscles étaient complètement détendus. Cette découverte a bouleversé toutes nos idées sur les rêves.

Auparavant, on croyait qu'un rêve était une série de courtes images qu'une personne voyait juste avant de se réveiller. L'état de l'organisme que nous avons découvert n'est pas le sommeil et l'éveil classiques, mais un troisième état spécial. Nous l'avons appelé « sommeil paradoxal » car il associe paradoxalement une relaxation complète des muscles du corps et une intense activité cérébrale ; c'est un éveil actif dirigé vers l'intérieur.

Combien de fois par nuit une personne rêve-t-elle ?

Quatre cinq. La durée des premiers rêves ne dépasse pas 18-20 minutes, les deux dernières "sessions" sont plus longues, 25-30 minutes chacune. Nous nous souvenons généralement du rêve le plus récent, qui se termine par notre réveil. Cela peut être long ou consister en quatre ou cinq épisodes courts – et puis il nous semble que nous avons rêvé toute la nuit.

Il y a des rêves spéciaux quand le dormeur se rend compte que l'action ne se passe pas en réalité

Au total, tous nos rêves nocturnes durent environ 90 minutes. Leur durée dépend de l'âge. Chez les nouveau-nés, les rêves représentent 60 % de leur temps de sommeil total, alors que chez les adultes, ils ne représentent que 20 %. C'est pourquoi certains scientifiques affirment que le sommeil joue un rôle important dans la maturation du cerveau.

Vous avez également découvert qu'il existe deux types de mémoire impliqués dans le rêve...

Je suis arrivé à cette conclusion en analysant mes propres rêves – 6600, soit dit en passant ! On savait déjà que les rêves reflètent les événements de la journée passée, les expériences de la semaine dernière. Mais vous voilà parti, disons, en Amazonie.

Au cours de la première semaine de votre voyage, vos rêves se dérouleront dans votre « environnement » domestique, et leur héros pourrait bien être un Indien qui se trouve dans votre appartement. Cet exemple montre que non seulement la mémoire à court terme pour les événements à venir, mais aussi la mémoire à long terme est impliquée dans la création de nos rêves.

Pourquoi certaines personnes ne se souviennent-elles pas de leurs rêves ?

Nous sommes vingt pour cent parmi nous. Une personne ne se souvient pas de ses rêves dans deux cas. La première est que s'il s'est réveillé quelques minutes après la fin du rêve, pendant ce temps il disparaît de la mémoire. Une autre explication est fournie par la psychanalyse : une personne se réveille, et son « je » – l'une des principales structures de la personnalité – censure sévèrement les images qui « surgissent » de l'inconscient. Et tout est oublié.

De quoi est fait un rêve ?

Pour 40% – des impressions de la journée, et le reste – des scènes associées à nos peurs, angoisses, inquiétudes. Il y a des rêves particuliers au cours desquels le dormeur se rend compte que l'action ne se passe pas en réalité ; il y en a - pourquoi pas ? – et rêves prophétiques. J'ai récemment étudié les rêves de deux Africains. Ils sont en France depuis longtemps, mais chaque nuit ils rêvent de leur Afrique natale. Le thème du rêve est loin d'être épuisé par la science, et chaque nouvelle étude ne fait que le confirmer.

Après 40 ans de recherche, pouvez-vous répondre à la question pourquoi une personne a besoin de rêves ?

Décevant - non ! C'est encore un mystère. Les neuroscientifiques ne savent pas à quoi servent les rêves, tout comme ils ne savent pas exactement ce qu'est la conscience. Pendant longtemps, on a cru qu'il fallait des rêves pour remplir les réserves de notre mémoire. Ensuite, ils ont découvert qu'en l'absence d'une phase de sommeil paradoxal et de rêves, une personne n'éprouve pas de problèmes de mémoire ou de réflexion.

Les rêves facilitent certains processus d'apprentissage et sont directement liés à notre avenir.

Le biophysicien anglais Francis Crick a avancé l'hypothèse inverse : les rêves aident à oublier ! C'est-à-dire que le cerveau, comme un superordinateur, utilise les rêves pour effacer des souvenirs insignifiants. Mais dans ce cas, une personne qui ne voit pas de rêves aurait de graves troubles de la mémoire. Et ce n'est pas le cas. En théorie, il y a beaucoup de taches blanches en général. Par exemple, pendant la phase de sommeil paradoxal, notre corps consomme plus d'oxygène que pendant l'éveil. Et personne ne sait pourquoi !

Vous avez émis l'hypothèse que les rêves font fonctionner notre cerveau.

Je dirai plus : demain naît dans les rêves, ils le préparent. Leur action peut être comparée à la méthode de visualisation mentale : par exemple, à la veille de la compétition, un skieur parcourt mentalement toute la piste les yeux fermés. Si nous mesurons l'activité de son cerveau à l'aide d'instruments, nous obtiendrons les mêmes données que s'il était déjà sur la piste !

Pendant la phase de sommeil paradoxal, les mêmes processus cérébraux se déroulent que chez une personne éveillée. Et pendant la journée, notre cerveau active rapidement cette partie des neurones qui était impliquée lors des rêves nocturnes. Ainsi, les rêves facilitent certains processus d'apprentissage et sont directement liés à notre avenir. Vous pouvez paraphraser l'aphorisme : je rêve, donc, l'avenir existe !

À propos de l'expert

Michel Jouvet – neurophysiologiste et neurologue, l'un des trois « pères fondateurs » de la somnologie moderne (science du sommeil), membre de l'Académie nationale des sciences de France, dirige des recherches sur la nature du sommeil et des rêves à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale .

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