Psychologie

J'adore ce mantra des anciens sceptiques : pour chaque argument, l'esprit peut proposer un contre-argument. De plus, la pose d'un sceptique est facile à combiner avec le plaisir esthétique. Le fait que la vérité soit introuvable n'empêche en rien d'en observer les manifestations….

Face à un paysage époustouflant, on peut se demander s'il dénote l'existence d'un Dieu créateur. Mais nous n'avons pas le moindre besoin de réponse pour continuer à profiter de la lumière éclatante dans le ciel nuageux.

Mon amour du scepticisme est renforcé par le spectacle déprimant de tous ces messieurs ternes, attachés à leurs convictions, comme des maris jaloux, qui transforment l'agressivité en agression par panique.. Elle les recouvre dès qu'une croyance se profile à l'horizon qu'ils ne partagent pas. Cette agression n'indique-t-elle pas la présence de doutes désagréables auxquels le sujet ne veut pas penser ? Sinon, pourquoi crier comme ça ? A l'inverse, aimer une pensée signifie probablement en même temps comprendre qu'elle peut être mise en doute.

Reconnaître la validité des doutes et au cœur même de cette reconnaissance continuer à « croire », se tenir dans la conviction, mais dans une telle conviction qu'il n'y a là rien de douloureux ; dans une foi qui se reconnaît comme foi et cesse de se mêler au savoir.

Croire à la liberté d'expression n'empêche pas de se demander si tout peut s'exprimer

Croire en Dieu signifie dans ce cas croire en Dieu et en même temps douter de lui, et ni Sœur Emmanuelle1, ni l'Abbé Pierre2 ne pouvait pas le réfuter. Croire à une hypothèse aussi insensée que Dieu, sans éprouver le moindre doute : comment peut-on y voir autre chose que de la folie ?? Croire au pouvoir républicain ne signifie pas être aveugle aux limites de ce modèle. Croire à la liberté d'expression n'empêche pas de se demander si tout peut s'exprimer. Croire en soi ne signifie pas mettre de côté les doutes sur la nature de ce « soi ». Remise en question de nos croyances : et si c'était le plus grand service que nous puissions leur rendre ? Au moins, c'est le genre d'assurance qui ne vous laissera pas glisser dans l'idéologie.

Comment défendre le modèle républicain à une époque où fleurissent les conservatismes de tous bords ? Non seulement opposer vos convictions républicaines à un conservateur (ce serait devenir trop comme lui), mais ajouter une autre distinction à cette opposition directe : non seulement « je suis républicain et vous ne l'êtes pas », mais « je doute de qui je suis, et tu n'es pas».

Je sais que tu penses que le doute m'affaiblit. Parfois j'ai même peur que tu aies raison. Mais je n'y crois pas. Mes doutes ne diminuent pas ma conviction : ils l'enrichissent et la rendent plus humaine. Ils transforment une idéologie rigide en un idéal qui définit le comportement. Les doutes n'ont pas empêché Sœur Emmanuelle de se battre pour les pauvres, et de se battre au nom de Dieu. N'oublions pas non plus que Socrate était un combattant hors pair ; mais il doutait de tout et ne savait avec certitude qu'une chose : qu'il ne savait rien.


1 Sœur Emmanuelle, dans le monde Madeleine Senken (Madeleine Cinquin, 1908-2008) est une religieuse, enseignante et écrivain belge. Pour les Français — un symbole de la lutte pour améliorer la situation des défavorisés.

2 L'abbé Pierre, dans le monde Henri Antoine Grouès (1912-2007) est un célèbre prêtre catholique français qui a fondé l'organisation caritative internationale Emmaüs.

Soyez sympa! Laissez un commentaire