Témoignage : « Après nos six enfants, nous voulions adopter des enfants… différents ! "

Connaissez-vous l'amour ? Connaissez-vous la liberté ? Aspirez-vous à l'un, à l'autre, en ayant une définition précise de chacun ? Je pensais tout savoir sur tout. Je ne savais rien. Ni risque, ni élan, ni vraie liberté. C'est la vie de ma mère qui m'a appris cela.

J'étais mariée à Nicolas, nous avons eu six merveilleux enfants. Et puis un jour, nous avons raté quelque chose. On s'est posé la question du prochain enfant, un septième : et pourquoi pas ? Assez vite, l'idée d'adopter est arrivée. C'est ainsi qu'en 2013, nous avons accueilli Marie. Marie est une enfant trisomique que nous avons choisi d'accueillir malgré les avertissements, les regards en coin… Oui, nous sommes fertiles, alors à quoi bon adopter ? On nous regardait comme des fous. Un enfant handicapé aussi ! Nous nous sommes battus avec acharnement pour obtenir un jour le droit d'accueillir notre petite Marie. Ne choisissez pas forcément la facilité pour que tout continue à fonctionner comme d'habitude, et l'immense confort du quotidien sans réelles surprises. J'ai découvert que ce n'est pas toujours le désir qui doit dicter notre vie, et que le choix est essentiel. Ne serait-il pas un peu facile d'être sur la bonne voie ? Dérailler, parfois, est la meilleure façon d'aller tout droit.

Tout le monde était d'accord et, maintes fois, on nous a promis la perte d'équilibre dans notre belle famille à cause de la présence d'un autre enfant. Mais différent de qui ? Suffisant pour ? Marie a le même encéphalogramme, qu'elle dorme ou qu'elle soit éveillée : la boule de cristal médicale lui prédisait aussi peu de progrès, voire aucun… Aujourd'hui, Marie a 4 ans. Elle sait « roronette », mot qu'elle utilise avec délectation pour désigner son scooter. Elle glisse, elle avance. Elle nous a tellement fait avancer aussi… goûtant chaque nouveauté mille fois plus puissamment que nous. Le voir goûter son premier verre de soda était bouleversant. Le plaisir prend une telle ampleur avec elle ! Elle a su établir un lien avec chaque membre de la famille. Et montrez-nous tous que la différence n'est pas ce que nous imaginons. La différence entre elle et nous, c'est tout simplement que Marie a quelque chose de plus. Vivre, ce n'est pas rester sur ses acquis et sur ses certitudes. Le véritable amour, c'est celui qui voit la vérité de l'autre, et c'est ce qui nous est arrivé avec elle, et toutes les personnes avec un handicap plus ou moins grand que nous avons découvert par la suite. Un jour, Marie s'est fâchée et je l'ai vue s'adresser à quelque chose d'invisible. Je me suis approché et j'ai compris qu'elle réprimandait une mouche qui s'était posée sur sa nourriture. Elle a dit tout ce qu'elle avait sur le cœur à cette mouche qui picorait dans son assiette. Son regard neuf, si neuf et juste sur les choses, si vrai aussi, ouvrait mes pensées, mes sentiments, à l'infini. Simplement ! On est comme ça, il faut faire comme ça… Ben non. D'autres font autrement, et la norme est nulle part. La vie n'est pas magique, elle enseigne. Oui, on peut absolument parler à une mouche !

Fort de cette belle expérience, Nico et moi avons décidé d'adopter un autre enfant et c'est ainsi que Marie-Garance est arrivée. Même histoire. On nous l'aurait refusé aussi. Encore un enfant handicapé ! Après deux ans, nous avons finalement conclu un accord et nos enfants ont sauté de joie. Nous leur avons expliqué que Marie-Garance ne mange pas comme nous, mais par gastrostomie : elle a une valve dans l'abdomen, sur laquelle un petit tube est bouché pendant les repas. Sa santé est très fragile, on le sait, mais lorsque nous l'avons rencontrée pour la première fois, nous avons été frappés par sa beauté. Aucun dossier médical ne nous avait dit que jusque-là, ses traits, son beau visage.

Sa première sortie, je l'ai fait face à face avec elle, et quand je me suis retrouvé à pousser sa poussette sur un chemin de terre, aussitôt bloqué par un harnais trop lourd, j'ai senti la peur s'emparer de moi et l'envie de tout abandonner. Est-ce que je saurai gérer ce lourd handicap au quotidien ? Paniqué, je suis resté inerte à regarder les vaches paître dans le champ voisin. Et soudain, j'ai regardé ma fille. J'espérais trouver dans son regard la force de continuer, mais son regard était si fermé que je réalisai que je n'étais pas au bout de mes ennuis. J'ai repris la route, une route si cahoteuse que la poussette a claqué, et là, enfin, Marie-Garance a éclaté de rire ! Et j'ai pleuré ! Oui, il n'est pas raisonnable de se lancer dans une telle aventure, mais l'amour raisonnable ne veut rien dire. Et j'ai accepté de me laisser guider par Marie-Garance. D'accord, c'est difficile de s'occuper d'un autre enfant qui a besoin de soins médicaux très particuliers, mais à partir de ce jour, le doute ne m'a plus jamais envahi.

Nos deux dernières filles ne sont pas nos deux différences, mais celles qui ont vraiment changé nos vies. Concrètement, Marie nous a permis de comprendre que chaque être est différent et a ses particularités. Marie-Garance est très fragile physiquement et a peu d'autonomie. Nous savons aussi que son temps est compté, alors elle nous a fait comprendre la finitude de la vie. Grâce à elle, on apprend à savourer le quotidien. Nous ne sommes pas dans la peur de la fin, mais dans la construction du présent : il est temps d'aimer, tout de suite.

Les difficultés sont aussi une façon de vivre l'amour. Cette expérience est notre vie, et nous devons accepter de vivre plus fort. D'ailleurs, bientôt, Nicolas et moi allons accueillir un nouvel enfant pour nous éblouir.

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