Psychologie

Nous sommes si fatigués du collectivisme que nous sommes tombés dans l'extrême opposé, devenant des individualistes ardents. Peut-être est-il temps de trouver un équilibre en reconnaissant que nous avons besoin des autres ?

La solitude est devenue, selon les sociologues, un grave problème de société. Au début des années 2010, selon les sondages VTsIOM, 13 % des Russes se disaient seuls. Et en 2016, déjà 74% admettaient qu'il leur manquait une véritable amitié pour la vie, 72% ne faisaient pas confiance aux autres. Ce sont des données pour toute la Russie, dans les mégapoles, le problème est encore plus aigu.

Les habitants des grandes villes (même ceux qui ont une famille) se sentent plus seuls que les habitants des petites. Et les femmes sont plus seules que les hommes. La situation est préoccupante. Il est temps de rappeler que nous sommes tous des animaux sociaux, et pour nous la communication n'est pas seulement un moyen d'éviter l'ennui, mais un besoin fondamental, une condition de survie.

Notre « je » ne peut exister que grâce aux autres qui l'accompagnent, l'aident à se former. Est-ce parce que le développement de la technologie fait émerger de nouvelles formes d'interconnexion : les réseaux sociaux se créent, les forums d'intérêts se multiplient, un mouvement de bénévoles se développe, la charité de proximité se développe, alors que partout dans le monde nous sommes largués , "autant que nous pouvons" pour aider ceux qui en ont besoin.

La montée de la dépression, l'amertume, la confusion dans la société sont des signes de "fatigué d'être soi-même", ainsi que l'épuisement du "moi", qui croyait trop en sa toute-puissance

Peut-être que l'époque où l'essentiel était « je, le mien », est remplacée par une époque où « nous, le nôtre » domine. Dans les années 1990, les valeurs de l'individualisme s'affirment rapidement dans l'esprit des Russes. En ce sens, nous rattrapons l'Occident. Mais moins de vingt ans se sont écoulés et nous récoltons les fruits d'une crise générale : augmentation de la dépression, de l'amertume et de la confusion.

Tout cela, selon la définition du sociologue Alain Ehrenberg, est un signe de « fatigue d'être soi », ainsi que l'épuisement du « je », qui croyait trop à sa toute-puissance. Allons-nous nous précipiter vers le premier extrême ? Ou chercher le juste milieu ?

Notre « je » n'est pas autonome

La croyance en « je », qui n'a besoin de personne pour exister, jouir, penser, créer, est solidement ancrée dans nos esprits. Récemment sur Facebook (une organisation extrémiste interdite en Russie), un utilisateur a affirmé que le style de management affecte le bien-être des employés de l'entreprise. "Personne ne peut m'empêcher d'être heureux si je le décide", a-t-il écrit. Quelle illusion : imaginer que notre Etat est complètement indépendant de l'environnement et des gens qui l'entourent !

Dès la naissance, nous nous développons sous le signe de la dépendance aux autres. Un bébé n'est rien s'il n'est pas tenu par sa mère, comme disait le psychanalyste d'enfants Donald Winnicott. L'homme est différent des autres mammifères : pour exister pleinement, il a besoin qu'on le désire, qu'on se souvienne de lui et qu'on pense à lui. Et il attend tout cela de beaucoup de monde : famille, amis...

Notre « je » n'est ni indépendant ni autosuffisant. Nous avons besoin des mots d'une autre personne, d'une vue de l'extérieur, afin de réaliser notre individualité.

Nos pensées, notre façon d'être sont façonnées par l'environnement, la culture, l'histoire. Notre « je » n'est ni indépendant ni autosuffisant. Nous avons besoin des mots d'une autre personne, d'une vue de l'extérieur, afin de réaliser notre individualité.

Un adulte et un petit enfant se tiennent devant un miroir. "Voir? C'est toi!" — l'adulte pointe le reflet. Et l'enfant rit en se reconnaissant. Nous sommes tous passés par cette étape, que le psychanalyste Jacques Lacan appelait « l'étape du miroir ». Sans elle, le développement est impossible.

joies et risques de la communication

Cependant, nous avons parfois besoin d'être seuls avec nous-mêmes. On aime les moments de solitude, ils sont propices à la rêverie. De plus, la capacité à endurer la solitude sans tomber dans la mélancolie ou l'anxiété est un signe de santé mentale. Mais notre plaisir de la solitude a des limites. Ceux qui se retirent du monde, s'arrangent pour eux-mêmes une longue méditation solitaire, partent pour un voyage solitaire en mer, commencent assez rapidement à souffrir d'hallucinations.

C'est une confirmation que, quelles que soient nos idées conscientes, notre «moi» dans son ensemble a besoin de compagnie. Les prisonniers sont envoyés à l'isolement pour briser leur volonté. Le manque de communication provoque des troubles de l'humeur et du comportement. Daniel Defoe, l'auteur de Robinson Crusoé, n'était pas assez cruel pour faire de son héros un prisonnier solitaire d'une île déserte. Il est venu avec vendredi pour lui.

Alors pourquoi rêvons-nous d'îles inhabitées loin de la civilisation ? Car bien que nous ayons besoin des autres, nous entrons souvent en conflit avec eux.

Alors pourquoi rêvons-nous d'îles inhabitées loin de la civilisation ? Car bien que nous ayons besoin des autres, nous entrons souvent en conflit avec eux. L'autre est quelqu'un comme nous, notre frère, mais aussi notre ennemi. Freud décrit ce phénomène dans son essai « Insatisfaction à l'égard de la culture » : nous en avons besoin d'un autre, mais il a des intérêts différents. Nous désirons sa présence, mais elle limite notre liberté. C'est à la fois une source de plaisir et de frustration.

Nous craignons à la fois l'invasion non invitée et l'abandon. Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer nous a comparés à des porcs-épics par temps froid : nous nous rapprochons de nos frères pour nous réchauffer, mais nous nous blessons avec des piquants. Avec d'autres comme nous, nous devons constamment chercher une distance de sécurité : ni trop près, ni trop loin.

Le pouvoir de l'unité

En équipe, nous sentons nos capacités se multiplier. Nous avons plus de vigueur, plus de force. Le conformisme, la peur d'être exclu du groupe, nous empêche souvent de réfléchir ensemble, et de ce fait, une personne peut être plus efficace que mille.

Mais lorsqu'un groupe veut exister précisément en tant que groupe, lorsqu'il manifeste la volonté d'agir, il apporte à ses membres un soutien puissant. Cela se passe aussi dans les groupes thérapeutiques, dans la discussion collective des problèmes, dans les associations d'entraide.

Dans les années 1960, Jean-Paul Sartre écrit le célèbre « L'enfer c'est les autres » dans la pièce Derrière les portes closes. Mais voici comment il a commenté ses propos : « On croit que par là je voulais dire que nos relations avec les autres sont toujours empoisonnées, que ce sont toujours des relations infernales. Et je voulais dire que si les relations avec les autres sont perverties, corrompues, alors les autres ne peuvent être que l'enfer. Parce que les autres sont, en fait, la chose la plus importante en nous-mêmes.

La montée de la dépression, l'amertume, la confusion dans la société sont des signes de "fatigué d'être soi-même", ainsi que l'épuisement du "moi", qui croyait trop en sa toute-puissance

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