Psychologie

Quelle est la différence entre une approche féminine du plaisir et une approche masculine ? Est-il possible d'avoir des relations sexuelles sans pénétration ? Dans quelle mesure la structure de notre corps influence-t-elle notre imaginaire ? Le sexologue Alain Eril et la psychanalyste Sophie Kadalen tentent de le savoir.

Le sexologue Alain Héril estime que les femmes commencent à exprimer leur érotisme petit à petit... mais elles le font selon des règles masculines. La psychanalyste Sophie Cadalen formule la réponse différemment : l'érotisme est un lieu où les frontières entre les sexes disparaissent… Et dans une dispute, comme vous le savez, naît la vérité.

Psychologies : Existe-t-il une érotisme féminin différent du masculin ?

Sophie Cadalen : Je ne distinguerais pas l'érotisme féminin spécifique, dont les traits seraient caractéristiques de n'importe quelle femme. Mais en même temps, j'en suis sûre : il y a des moments qui ne peuvent être vécus qu'en tant que femme. Et ce n'est pas la même chose qu'être un homme. C'est cette différence qui nous intéresse en premier lieu. On en tient compte, malgré de nombreux préjugés, pour comprendre : qu'est-ce qu'un homme et une femme ? Qu'est-ce qu'on attend l'un de l'autre sexuellement ? quelle est notre envie et notre façon de nous amuser ? Mais avant de répondre à ces questions, il faut tenir compte de trois facteurs : l'époque dans laquelle nous vivons, l'époque à laquelle nous avons été élevés et l'histoire des relations entre hommes et femmes jusqu'à nos jours.

Alain Eril : Essayons de définir l'érotisme. Doit-on qualifier d'érotique toute source d'excitation sexuelle ? Ou qu'est-ce qui nous choque, provoquant une chaleur intérieure ? Les fantasmes et le plaisir sont liés à ce mot… Pour moi, l'érotisme est une idée du désir, qui se présente à travers des images. Donc, avant de parler d'érotisme féminin, il faut se demander s'il existe des images féminines spécifiques. Et là je suis d'accord avec Sophie : il n'y a pas d'érotisme féminin en dehors de l'histoire des femmes et de leur place dans la société. Bien sûr, il y a quelque chose de permanent. Mais aujourd'hui, nous ne savons pas exactement quelles caractéristiques nous avons sont masculines et lesquelles sont féminines, quelles sont nos différences et nos similitudes, quels sont nos désirs - encore une fois, masculins et féminins. Tout cela est très intéressant car cela nous oblige à nous poser des questions.

Pourtant, si on regarde par exemple les sites pornographiques, il nous semble qu'il y a une énorme différence entre les fantasmes masculins et féminins...

SK : Par conséquent, il est important de se souvenir de l'époque dont nous sommes issus. Je pense que depuis que le concept d'érotisme est apparu, la position d'une femme a toujours été défensive. Nous nous cachons encore, le plus souvent inconsciemment, derrière ces idées sur la féminité qui nous interdisent l'accès à certaines images. Prenons l'exemple de la pornographie. Si nous ignorons beaucoup de préjugés et de réactions défensives, il deviendra vite clair que beaucoup d'hommes ne l'aiment pas, bien qu'ils prétendent le contraire, et que les femmes, au contraire, l'aiment, mais le cachent soigneusement. A notre époque, les femmes vivent un terrible décalage entre leur vraie sexualité et son expression. Il y a encore un grand écart entre la liberté qu'ils revendiquent et ce qu'ils ressentent réellement et s'interdisent constamment.

Est-ce à dire que les femmes sont encore victimes du point de vue des hommes et de la société dans son ensemble ? Vont-ils vraiment cacher leurs fantasmes, leurs désirs et ne jamais les transformer en réalité ?

SK : Je refuse le terme « victime » parce que je crois que les femmes elles-mêmes sont impliquées là-dedans. Quand j'ai commencé à étudier la littérature érotique, j'ai découvert une chose intéressante : on croit que c'est de la littérature masculine, et en même temps on attend — de nous-mêmes ou de l'auteur — un regard féminin. Eh bien, par exemple, la cruauté est une qualité masculine. Et j'ai donc remarqué que les femmes qui écrivent de tels livres veulent aussi faire l'expérience de la cruauté inhérente à l'organe sexuel masculin. En cela, les femmes ne sont pas différentes des hommes.

EA : Ce que nous appelons pornographie, c'est ceci : un sujet dirige son désir vers un autre sujet, le réduisant au rang d'objet. Dans ce cas, l'homme est le plus souvent le sujet, et la femme est l'objet. C'est pourquoi nous associons la pornographie aux qualités masculines. Mais si l'on replace les faits dans le temps, on s'aperçoit que la sexualité féminine n'est apparue qu'en 1969, date à laquelle sont apparues les pilules contraceptives, et avec elles une nouvelle compréhension des rapports corporels, de la sexualité et du plaisir. C'était très récemment. Bien sûr, il y a toujours eu des personnalités féminines aussi importantes que Louise Labe.1, Colette2 ou Lou Andreas-Salomé3qui défendaient leur sexualité, mais pour la plupart des femmes, tout ne faisait que commencer. Il nous est difficile de définir l'érotisme féminin car nous ne savons toujours pas vraiment ce que c'est. Nous essayons maintenant de le définir, mais nous marchons d'abord sur le chemin déjà tracé par les règles de l'érotisme masculin : les copier, les refaire, partir d'elles. L'exception concerne peut-être uniquement les relations lesbiennes.

SK : Je ne peux pas être d'accord avec vous sur les règles des hommes. Bien sûr, c'est l'histoire de la relation entre sujet et objet. C'est ça la sexualité, les fantasmes sexuels : nous sommes tour à tour sujet et objet. Mais cela ne signifie pas que tout est construit selon des règles masculines.

Inutile de dire que nous sommes différents : le corps féminin est fait pour recevoir, le corps masculin pour pénétrer. Cela joue-t-il un rôle dans la structure de l'érotisme ?

SK : Vous pouvez tout changer. Rappelez-vous l'image d'un vagin plein de dents : un homme est sans défense, son pénis est au pouvoir d'une femme, elle peut le mordre. Un membre en érection semble agressant, mais c'est aussi la principale vulnérabilité d'un homme. Et toutes les femmes ne rêvent pas d'être percées : dans l'érotisme, tout se mélange.

EA : Le sens de l'érotisme est de remplacer dans notre imaginaire et notre créativité l'acte sexuel en tant que tel par un moment de sexualité. Ce domaine, de tout temps masculin, est aujourd'hui maîtrisé par les femmes : tantôt elles agissent comme des hommes, tantôt contre les hommes. Il faut laisser libre cours à notre désir de différence pour accepter le choc que peut nous apporter quelque chose qui n'est ni tout à fait masculin ni tout à fait féminin. C'est le début de la vraie liberté.

Le sens de l'érotisme est de remplacer dans notre imaginaire et notre créativité l'acte sexuel en tant que tel par un moment de sexualité.

SK : Je suis d'accord avec toi sur l'imagination et la créativité. L'érotisme n'est pas seulement un jeu menant à la pénétration. La pénétration n'est pas une fin en soi. L'érotisme est tout ce que nous jouons jusqu'à l'apogée, avec ou sans pénétration.

EA : Quand j'étudiais la sexologie, on nous parlait des cycles de la sexualité : désir, préliminaires, pénétration, orgasme… et une cigarette (rires). La différence entre un homme et une femme est particulièrement prononcée après un orgasme : une femme est immédiatement capable du suivant. C'est là que se cache l'érotisme : dans cette performance il y a comme un ordre à continuer. C'est un défi pour nous les hommes : entrer dans un espace sexuel où pénétration et éjaculation ne signifient pas du tout accomplissement. D'ailleurs, j'entends souvent cette question à mon accueil : peut-on vraiment appeler des relations sexuelles sans pénétration des relations sexuelles ?

SK : Beaucoup de femmes se posent également cette question. Je suis d'accord avec vous sur la définition de l'érotisme : elle surgit de l'intérieur, vient de l'imaginaire, alors que la pornographie agit mécaniquement, ne laissant aucune place à l'inconscient.

EA : La pornographie est ce qui nous conduit à la viande, au frottement des muqueuses les unes contre les autres. Nous ne vivons pas dans une société hyper-érotique, mais dans une société hyper-pornographique. Les gens cherchent un moyen qui permettrait à la sexualité de fonctionner mécaniquement. Cela contribue non pas à l'érotisme, mais à l'excitation. Et ce n'est pas vrai, car alors nous nous convainquons que nous sommes heureux dans le domaine sexuel. Mais ce n'est plus de l'hédonisme, mais une fièvre, parfois douloureuse, souvent traumatisante.

SK : L'excitation qui se heurte à la réussite. Il faut « arriver à… » Nous avons devant les yeux, d'un côté, une masse d'images, de concepts, de prescriptions, et de l'autre, un conservatisme extrême. Il me semble que l'érotisme se glisse entre ces deux extrêmes.

EA : L'érotisme trouvera toujours un moyen de s'exprimer, car sa base est notre libido. Lorsque les artistes de l'Inquisition se sont vu interdire de peindre des corps nus, ils ont représenté le Christ crucifié de manière extrêmement érotique.

SK : Mais la censure est omniprésente car nous la portons en nous. L'érotisme se trouve toujours là où il est interdit ou considéré comme indécent. Il parait que tout est permis aujourd'hui ? Notre érotisme trouvera sa place dans toutes les crevasses et surgira au moment où on s'y attend le moins. Au mauvais endroit, au mauvais moment, avec la mauvaise personne… L'érotisme est né de la violation de nos inhibitions inconscientes.

EA : Nous touchons toujours à un domaine étroitement lié à l'érotisme lorsque nous parlons de détails. Par exemple, je mentionne une voile à l'horizon, et tout le monde comprend que nous parlons d'un navire. Cette capacité aide notre vue, en partant d'un détail, à compléter quelque chose d'entier. C'est peut-être là la différence fondamentale entre l'érotisme et la pornographie : le premier ne fait qu'insinuer, le second propose sans ambages, d'une manière dure. Il n'y a pas de curiosité dans la pornographie.


1 Louise Labé, 1522-1566, poétesse française, a mené une vie ouverte, a accueilli des écrivains, des musiciens et des artistes dans sa maison.

2 Colette (Sidonie-Gabrielle Colette), 1873-1954, était une écrivaine française, également connue pour sa liberté de mœurs et ses nombreuses aventures amoureuses avec des femmes et des hommes. Chevalier de l'Ordre de la Légion d'Honneur.

3 Lou Andreas-Salomé, Louise Gustavovna Salomé (Lou Andreas-Salomé), 1861‒1937, fille du général du service russe Gustav von Salomé, écrivain et philosophe, amie et inspiratrice de Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud et Rainer-Maria Rilke.

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