Fantasmer

Fantasmer

« La vie se passe entièrement à désirer », écrivait Jean de la Bruyère dans Les Caractères, à partir de 1688. L'auteur, en suggérant cela, insistait en filigrane sur le rôle essentiel, dans nos vies, des fantasmes, ces représentations imaginaires qui traduisent nos désirs. Comme par exemple le fait d'inventer des scénarios non réalisés, ou un désir sexuel que l'on n'a pas, ou pas encore, réalisé. Certaines personnes acceptent leurs fantasmes. D'autres préfèrent les contrôler. D'autres, satisfont-les. Et si, finalement, les vivre dans la vraie vie les rendait décevants ? Et si, en les gardant envieux, ils nous aidaient aussi à rester en vie ?

Qu'est-ce qu'un fantasme ?

« Les fantasmes ne gouvernent pas la vie sexuelle, ils en sont la nourriture », a affirmé le psychiatre français Henri Barte. Production de l'imaginaire par le prisme duquel le moi peut chercher à échapper à l'emprise du réel, le fantasme, justement comme imaginaire, désigne aussi le faux, ou l'irréel. Etymologiquement, il vient du grec phantasma qui signifie « apparence ».

Un fantasme sexuel consiste, par exemple, à imaginer des scénarios, des scènes sexuelles jusqu'alors inaccomplis. David Lodge, à Le monde de l'éducation, a ainsi estimé que « La vie sexuelle de chacun est en partie constituée de fantasmes, en partie inspirés de modèles littéraires, de mythes, d'histoires ainsi que d'images et de films ». Ainsi, les personnages du Vicomte de Valmont et de la Marquise de Merteuil, les deux protagonistes du célèbre roman épistolaire Les Liaisons Dangereuses, pourraient, par exemple, nourrir de multiples fantasmes… Le fantasme est en quelque sorte l'aspect psychologique de la sexualité.

Il existe des fantasmes sexuels, mais aussi des fantasmes narcissiques, qui concernent alors le moi. D'autre part, certains fantasmes peuvent être conscients, et ce sont des rêveries et des projets diurnes, et d'autres sont inconscients : dans ce cas, ils s'expriment à travers des rêves et des symptômes névrotiques. Parfois, le fantasme peut conduire à des actes excessifs. 

Les singularités que sont les fantasmes sont donc des formations de l'imaginaire. Ils ont, en ce sens, fourni la voie royale pour l'exploration des manifestations de l'inconscient. N'oublions pas ce que dit le proverbe, "Chose interdite, chose désirée"...

Doit-on ou non céder au fantasme ?

« L'amour fantasmé est bien meilleur que l'amour vécu. Ne pas agir, c'est très excitant ”, a écrit Andy Warhol. A l'inverse, Oscar Wilde a affirmé : « La seule façon de se débarrasser d'une tentation est d'y céder. Résistez, et votre âme tombe malade à force de languir ce qu'elle s'interdit ». Que faire, alors, quand on est pris d'un fantasme ? Peut-être, tout simplement, avez-vous en tête que, si vous les vivez dans la vraie vie, ils seront certainement décevants ?

Ou peut-on peut-être aussi y parvenir à travers le prisme de la poésie et de la littérature ? La poésie, qui est, pour Pierre Seghers, "Le pivot de celui qui se cherche dans ses contradictions, dans le déséquilibre de ses forces, la voix d'un appel insensé, la présence malgré les fantasmes".

Est-il possible de les imaginer, aussi, seulement s'ils sont cohérents avec soi-même ? Comme Françoise Dolto, qui, par exemple, ne s'intéressait à la théorie de quelqu'un que si elle pouvait se l'approprier ? C'est-à-dire, si elle pouvait « Retrouver là, exprimé autrement qu'elle ne l'aurait fait, ses fantasmes, ses découvertes, son expérience ». Et puis, elle peine à laisser tomber tout le reste, tout ce qui, dans la théorie de l'autre, n'éclaire guère ce qu'elle ressent ou ce qu'elle éprouve.

Fantasmes à travers le prisme de la religion

Peut-on se faire une idée de l'effet du sentiment religieux sur les fantasmes ? Le psychologue américain Tierney Ahrold a tenté d'évaluer l'impact que le type de religiosité de chaque personne avait sur son attitude envers la sexualité et le fantasme. Il a ainsi découvert que des niveaux élevés de religiosité intérieure prédisent des attitudes sexuelles plus conservatrices, à la fois chez les hommes et chez les femmes. Au contraire, un niveau élevé de spiritualité prédit des attitudes sexuelles moins conservatrices chez les hommes, mais plus conservatrices chez les femmes.

L'intégrisme religieux a également un impact évident sur les fantasmes sexuels : ceux-ci sont fortement réduits chez ses adeptes. Autre point à noter : des niveaux élevés de croyance et de spiritualité paranormales, ajoutés à une moindre importance de la religion traditionnelle, se traduisent, chez les femmes, par une tendance beaucoup plus élevée à être sujette à divers fantasmes sexuels.

Enfin, si l'on réécoute Françoise Dolto, qui s'était exercé à mettre l'Évangile et la foi face au risque de la psychanalyse, peut-être « Le seul péché est de ne pas se risquer pour vivre son désir »...

L'envie nous maintient en vie

On va nous donner le froid d'aimer la flamme, on va nous donner la haine et on va aimer l'amour, chantait Johnny… Le désir et la fantaisie sont intimement liés à la passion. Cependant, l'auteur Malebranche suggère que ces passions ne sont pas libres, elles seraient « En nous sans nous, et même malgré nous depuis le péché ».

Cependant, à la suite de Descartes, une fois que nous aurons perçu que les passions se produisent dans l'âme sans que la volonté en fasse partie, nous comprendrons alors qu'il sera inutile de chercher à les réduire au silence par un simple effort de concentration. Pour Descartes, en effet, « Les passions de l'âme sont comme des perceptions ou des sentiments de l'âme, renforcés par quelque mouvement des esprits.

Sans cesser pour autant de garder cette "Vouloir vouloir", que Johnny proclamait si justement, nous pouvons aussi, en disciple accompli de Descartes, aider la raison à reprendre ses droits… Sans oublier dans le même esprit de nous maintenir en vie. Et puis, on suivra en ce sens l'écrivain Frédéric Beigbeder, qui conseille : « Bénissons nos désirs inassouvis, chérissons nos rêves inaccessibles. L'envie nous maintient en vie ".

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