La malbouffe dans les cantines scolaires : quand les parents s'impliquent

« Cela faisait plusieurs années que je participais aux comités de restauration comme beaucoup de parents d'élèves», explique Marie, une parisienne maman de deux enfants de 5 et 8 ans scolarisés dans le 18e arrondissement. " J'avais l'impression d'être utile : on pouvait faire des commentaires sur les menus passés et dans « la commission des menus », commenter les menus à venir. Pendant des années, je m'en suis contenté, comme beaucoup d'autres parents de l'arrondissement. Jusqu'à ce que, pour la énième fois, je parle avec une autre mère de nos enfants qui sortent de l'école le ventre vide. Elle était déterminée à trouver un moyen de comprendre concrètement quel était le problème et a décidé d'agir. Grâce à elle, j'ai ouvert les yeux.Les deux mamans sont rapidement rejointes par un petit groupe de parents tout aussi inquiets. Ensemble, ils forment un collectif et se lancent un défi : photographier le plus souvent possible les plateaux-repas servis à chacun pour comprendre pourquoi les enfants les boudent. Presque tous les jours, les parents publient les photos sur un groupe Facebook « Les enfants de 18 ans mangent ça », accompagnées du titre du menu prévu.

 

Malbouffe tous les midis

«Ce fut un premier choc : il y avait un vrai décalage entre l'intitulé du menu et ce qu'il y avait sur le plateau des enfants : les tranches de bœuf disparaissaient, remplacées par des nuggets de poulet, la salade verte de l'entrée annoncée au menu passait par là. la trappe et sous le nom de flan caramel cachait en fait un dessert industriel bourré d'additifs. Qu'est-ce qui m'a le plus dégoûté ? Des « allumettes de légumes » sales, baignées d'une sauce glacée, difficiles à identifier. » se souvient Marie. Le groupe de parents analyse à tour de rôle les fiches techniques que la Caisse des Ecoles accepte parfois de leur fournir : des conserves de légumes qui voyagent d'un bout à l'autre de l'Europe, des aliments qui contiennent des additifs et du sucre partout : dans la sauce tomate, les yaourts… » même dans les « manches de poulet » »» Marie s'énerve. Le collectif visite également la cuisine centrale, située loin de l'école, chargée de préparer 14 repas par jour pour les enfants de l'arrondissement, qui gère également les repas pour ceux du 000e arrondissement de Paris. " Dans ce minuscule endroit où les employés travaillent à une vitesse vertigineuse, on comprend qu'il était impossible de « cuisiner ». Les employés se contentent de rassembler les aliments surgelés dans de grands bacs, en les arrosant de sauce. Point. Où est le plaisir, où est l'envie de bien faire ? Marie est agacée.

 

Où sont passées les cuisines ?

La journaliste Sandra Franrenet s'est penchée sur le problème. Dans son livre*, elle explique comment fonctionnent les cuisines de la plupart des cantines scolaires françaises : « Contrairement à il y a trente ans, où les cantines disposaient chacune de cuisines et de cuisiniers sur place, aujourd'hui, environ un tiers des collectivités sont en « délégation de service public ». C'est-à-dire qu'ils délèguent leurs repas à des prestataires privés. » Parmi eux, trois géants de la restauration scolaire - Sodexo (et sa filiale Sogeres), Compass et Elior - qui se partagent 80 % d'un marché estimé à 5 milliards d'euros. Les écoles n'ont plus de cuisine : les plats sont préparés dans des cuisines centrales qui fonctionnent souvent en froid. " Ce sont d'ailleurs plus des « lieux de rassemblement » que des cuisines. Les plats sont préparés 3 à 5 jours à l'avance (les repas du lundi sont par exemple préparés le jeudi). Ils arrivent souvent congelés et sont pour la plupart ultra-transformés. » explique Sandra Franrenet. Maintenant, quel est le problème avec ces aliments ? Anthony Fardet** est chercheur en nutrition préventive et holistique à l'INRA de Clermont-Ferrand. Il explique : " Le problème des repas collectifs préparés dans ce type de cuisine est le risque d'avoir beaucoup de produits « ultra-transformés ». C'est-à-dire des produits qui contiennent au moins un additif et/ou un ingrédient d'origine strictement industrielle de type « cosmétique » : qui modifie le goût, la couleur ou la texture de ce que l'on mange. Que ce soit pour des raisons esthétiques ou pour un coût toujours moindre. En fait, on vient camoufler ou plutôt « maquiller » un produit qui n'a plus vraiment de goût… pour donner envie de le manger.. "

 

Risques de diabète et de « foie gras »

Plus généralement, le chercheur constate que les assiettes des écoliers contiennent trop de sucre : dans les carottes en entrée, dans le poulet pour qu'il ait l'air croustillant ou plus coloré et dans la compote en dessert… sans parler des sucres déjà consommés. par l'enfant le matin au petit-déjeuner. Il reprit : " Ces sucres sont généralement des sucres cachés qui créent de multiples pics d'insuline… et à l'origine d'une baisse d'énergie ou de fringales ! Cependant, l'OMS recommande de ne pas dépasser 10 % de sucres dans les calories quotidiennes (dont les sucres ajoutés, les jus de fruits et le miel) pour éviter la création de graisse sous-cutanée qui conduit au surpoids, l'insulinorésistance qui dégénère le diabète ou le risque de « stéatose hépatique ». », qui peut aussi dégénérer en NASH (une inflammation du foie). L'autre problème avec ce type d'aliments transformés, ce sont les additifs. Ils sont largement utilisés depuis seulement 30-40 ans environ, sans vraiment savoir comment ils agissent dans notre organisme (par exemple sur la microflore digestive), ni comment ils se recombinent avec d'autres molécules (appelé « effet cocktail »). "). Anthony Fardet explique : « Certains additifs sont si petits qu'ils franchissent toutes les barrières : ce sont des nanoparticules dont on sait peu de choses sur leurs effets à long terme sur la santé. On pense même qu'il pourrait y avoir un lien entre certains additifs et des troubles de l'attention chez l'enfant. Par principe de précaution, il faut donc les éviter ou en consommer très peu… au lieu de jouer aux apprentis sorciers ! ».

 

Un programme national de nutrition pas assez exigeant

Pourtant, les menus de la cantine sont censés respecter le Programme National Nutrition Santé (PNNS), mais Anthony Fardet ne trouve pas ce plan assez exigeant : » Toutes les calories ne sont pas égales ! L'accent doit être mis sur le degré de transformation des aliments et des ingrédients. Les enfants consomment en moyenne environ 30% de calories ultra-transformées par jour : c'est trop. Il faut revenir à une alimentation qui respecte la règle des trois V : « Végétal » (avec moins de protéines animales, dont le fromage), « Vrai » (aliments) et « Varié ». Notre corps et la planète s'en porteront bien mieux ! « De leur côté, dans un premier temps, le collectif « Enfants de 18 ans » n'a pas été pris au sérieux par la mairie. Très contrariés, les parents ont souhaité inciter les élus à changer de prestataire, le mandat de Sogeres arrivant à son terme. En effet, cette filiale du géant Sodexo, gérait le marché public depuis 2005, soit pendant trois mandats. Une pétition a été lancée, sur change.org. Résultat : 7 signatures en 500 semaines. Pourtant, cela ne suffisait pas. A la rentrée, la mairie a démissionné pour cinq ans avec l'entreprise, au grand désespoir des parents du collectif. Malgré nos demandes, Sodexo n'a pas souhaité répondre à nos questions. Mais voici ce qu'ils ont répondu fin juin sur la qualité de leurs prestations par la commission « alimentation industrielle » de l'Assemblée nationale. Concernant les conditions de préparation, les nutritionnistes de Sodexo évoquent plusieurs problèmes : la nécessité pour eux de s'adapter aux « cuisines centrales » (ils ne sont pas les propriétaires des cuisines mais les mairies) et « accompagnant les enfants » Qui n'apprécient pas toujours les plats proposés. Sodexo cherche à s'adapter au marché et revendique de travailler avec de grands chefs pour faire évoluer la qualité des produits. Elle affirme avoir reformé ses équipes pour "qils réapprennent à faire des quiches et des crèmes desserts »Ou travailler avec ses fournisseurs pour, par exemple, éliminer les graisses hydrogénées des fonds de tarte industriels ou réduire les additifs alimentaires. Une étape nécessaire au regard des préoccupations des consommateurs.

 

 

Du plastique dans les assiettes ?

A Strasbourg, les parents se félicitent. Dès la rentrée 2018, certains des 11 repas servis aux enfants de la ville auront été réchauffés dans… de l'inox, un matériau inerte. L'amendement visant à interdire le plastique dans les cantines avait été retesté fin mai à l'Assemblée nationale, jugé trop coûteux et trop difficile à mettre en œuvre. Pourtant, certaines mairies n'ont pas attendu le coup de sifflet de l'Etat pour se débarrasser du plastique dans les cantines, également pressées par des associations de parents, comme le collectif « Strasbourg Cantines Project ». En gros, Ludivine Quintallet, une jeune maman strasbourgeoise, qui est tombée des nuages ​​lorsqu'elle a compris que le repas « bio » de son fils était réchauffé… dans des barquettes en plastique. Cependant, même si les barquettes sont homologuées par rapport aux normes dites « alimentaires », lorsqu'elle est chauffée, le plastique permet aux molécules de la barquette de migrer vers le contenu, c'est-à-dire le repas. Après une lettre dans les médias, Ludivine Quintallet se rapproche d'autres parents et met en place le collectif « Projet cantines Strasbourg ». Le collectif est mis en relation avec l'ASEF, Association santé environnement France, regroupement de médecins spécialisés en santé environnementale. Les experts confirment ses craintes : l'exposition répétée, même à très faibles doses, à certaines molécules chimiques du contenant en plastique, peut être à l'origine de cancers, de troubles de la fertilité, de puberté précoce ou de surpoids. « Projet Cantine Strasbourg » a ensuite travaillé sur le cahier des charges des cantines et le prestataire Elior a proposé de passer à l'inox… pour le même prix. En septembre 000, c'était confirmé : la ville de Strasbourg a changé son mode de stockage et de chauffage pour passer au tout inox. Au départ 2017 % de cantines prévues à 50 puis 2019 % à 100. Le temps d'adapter l'équipement, le stockage et la formation des équipes qui doivent transporter de la vaisselle plus lourde. Une belle victoire pour le collectif de parents, qui s'est depuis associé à d'autres groupements dans d'autres villes françaises et a créé : « Cantines sans Plastique France ». Les parents de Bordeaux, Meudon, Montpellier, Paris 2021e et Montrouge s'organisent pour que les enfants ne mangent plus dans des plateaux en plastique, de la maternelle au lycée. Le prochain projet du collectif ? On devine : réussir à interdire le plastique dans les cantines françaises pour tous les jeunes écoliers.

 

 

Les parents prennent en charge la cantine

A Bibost, village de 500 habitants de l'ouest lyonnais, Jean-Christophe s'implique dans la gestion bénévole de la cantine scolaire. Son association assure les relations avec le prestataire et emploie deux personnes mises à disposition par la mairie. Les habitants du village se relaient pour servir bénévolement chaque jour des plats à la vingtaine d'écoliers qui mangent à la cantine. Egalement déçus par la qualité des repas, servis dans des barquettes en plastique, les parents cherchent une alternative. Ils trouvent à quelques kilomètres un traiteur prêt à préparer les repas des enfants : il s'approvisionne chez un boucher local, prépare lui-même ses pâtes à tarte et ses desserts et achète tout ce qu'il peut sur place. Le tout pour 80 centimes de plus par jour. Lorsque les parents présentent leur projet aux autres parents de l'école, il est adopté à l'unanimité. " Nous avions prévu une semaine de test », explique Jean-Christophe, où les enfants devaient écrire ce qu'ils mangeaient. Ils ont tout aimé et nous avons donc signé. Cependant, il faut voir ce qu'il prépare : certains jours, ce sont des morceaux de boucherie auxquels on est plus habitué, comme la langue de bœuf. Bon les enfants mangent quand même ! « A la rentrée prochaine, la gestion sera reprise par la mairie mais le prestataire reste le même.

 

Alors qu'est-ce?

Nous rêvons tous de voir nos enfants manger des produits bio de qualité et des plats qui ont bon goût. Mais comment rendre ce qui ressemble à un rêve éveillé aussi proche que possible de la réalité ? Certaines ONG, comme Greenpeace France ont lancé des pétitions. L'un d'eux réunit des signataires pour qu'il y ait moins de viande à la cantine. Pourquoi ? Dans les cantines scolaires, entre deux et six fois trop de protéines seraient servies par rapport aux recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation. La pétition lancée à la fin de l'année dernière a maintenant atteint 132 signatures. Et pour ceux qui veulent agir plus concrètement ? Sandra Franrenet donne des indices aux parents : « Allez manger à la cantine de vos enfants ! Pour le prix d'un repas, cela vous permettra de vous rendre compte de la qualité de ce qui est proposé. Demandez également à visiter la cantine : l'agencement des lieux (légumes, marbre pour la pâtisserie, etc.) et les produits de l'épicerie vous permettront de voir comment et avec quels repas sont confectionnés. Autre piste à ne pas négliger : se rendre au comité restauration de la cantine. Si vous ne pouvez pas modifier le cahier des charges ou si vous constatez que ce qui a été promis (repas bio, moins gras, moins sucré…) n'est pas respecté, alors tapez du poing sur la table ! Les élections municipales sont dans deux ans, c'est l'occasion d'aller dire qu'on n'est pas content. Il y a un vrai effet de levier, c'est l'occasion d'en profiter. ". A Paris, Marie a décidé que ses enfants ne mettront plus les pieds à la cantine. Sa solution ? Prenez des dispositions avec d'autres parents pour emmener les enfants à tour de rôle pendant la pause méridienne. Un choix que tout le monde ne peut pas faire.

 

* Le livre noir des cantines scolaires, éditions Leduc, paru le 4 septembre 2018

** Auteur de « Stop aux aliments Utratransformés, Mangez vrai » Thierry Souccar éditions

 

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