Psychologie

La déesse de l'amour et de la beauté dans le tableau de Botticelli est triste et détachée du monde. Son visage triste attire notre attention. Pourquoi n'y a-t-il pas de bonheur là-dedans, la joie de découvrir et de reconnaître le monde ? Que voulait nous dire l'artiste ? Le psychanalyste Andrei Rossokhin et la critique d'art Maria Revyakina examinent le tableau et nous disent ce qu'ils savent et ressentent.

"L'AMOUR CONNECTE LE TERRESTRE ET LE CÉLESTE"

Maria Revyakina, historienne de l'art :

Vénus, personnifiant l'amour, se dresse dans un coquillage (1), que le dieu du vent Zéphyr (2) porte jusqu'au rivage. La coquille ouverte à la Renaissance était un symbole de féminité et était littéralement interprétée comme un ventre féminin. La figure de la déesse est sculpturale, et sa posture, caractéristique des statues antiques, met l'accent sur l'aisance et la modestie. Son image immaculée est complétée par un ruban (3) dans ses cheveux, symbole d'innocence. La beauté de la déesse est fascinante, mais elle a l'air réfléchie et distante par rapport aux autres personnages.

Sur le côté gauche de l'image, nous voyons un couple marié - le dieu du vent Zephyr (2) et la déesse des fleurs Flora (4)enlacés dans une étreinte. Zéphyr personnifiait l'amour terrestre et charnel, et Botticelli rehausse ce symbole en représentant Zéphyr avec sa femme. Sur le côté droit de l'image, la déesse du printemps, Ora Tallo, est représentée. (5), symbolisant l'amour chaste et céleste. Cette déesse était également associée à la transition vers un autre monde (par exemple, au moment de la naissance ou de la mort).

On croit que myrte, guirlande (6) d'où l'on voit sur son cou, des sentiments éternels personnifiés, et l'oranger (7) était associé à l'immortalité. Ainsi, la composition de l'image soutient l'idée principale de l'œuvre: sur l'union du terrestre et du céleste par l'amour.

La gamme de couleurs, où prédominent les tons bleus, donne à la composition légèreté, festivité et en même temps froideur.

Non moins symbolique est la gamme de couleurs, dominée par les tons bleus, virant aux nuances de gris turquoise, qui confère à la composition légèreté et festivité, d'une part, et une certaine froideur, d'autre part. La couleur bleue à cette époque était typique des jeunes femmes mariées (elles sont entourées d'un couple marié).

Ce n'est pas un hasard s'il y a une grande tache de couleur verte sur le côté droit de la toile : cette couleur était associée à la fois à la sagesse et à la chasteté, et à l'amour, la joie, le triomphe de la vie sur la mort.

Couleur de la robe (5) Ory Tallo, qui passe du blanc au gris, n'est pas moins éloquent que la teinte rouge pourpre du manteau (8), dont elle va recouvrir Vénus : la couleur blanche personnifiait la pureté et l'innocence, et le gris était interprété comme un symbole d'abstinence et du Grand Carême. Peut-être que la couleur du manteau symbolise ici le pouvoir de la beauté en tant que force terrestre et le feu sacré qui apparaît chaque année à Pâques en tant que force céleste.

« ADMISSION DE LA BEAUTÉ ET LA DOULEUR DE LA PERTE »

Andrey Rossokhin, psychanalyste :

La confrontation cachée dans l'image des groupes de gauche et de droite attire le regard. Le dieu du vent Zéphyr souffle sur Vénus par la gauche (2)représentant la sexualité masculine. A droite, la nymphe Ora la rencontre avec un manteau dans les mains. (5). D'un geste maternel bienveillant, elle veut jeter un manteau sur Vénus, comme pour la protéger du vent séducteur du Zéphyr. Et c'est comme se battre pour un nouveau-né. Regardez : la force du vent est dirigée non pas tant vers la mer ou vers Vénus (il n'y a pas de vagues et la figure de l'héroïne est statique), mais vers ce manteau. Zephyr semble essayer d'empêcher Ora de cacher Vénus.

Et Vénus elle-même est calme, comme figée dans la confrontation entre deux forces. Sa tristesse, son détachement de ce qui se passe attire l'attention. Pourquoi n'y a-t-il pas de bonheur là-dedans, la joie de découvrir et de reconnaître le monde ?

J'y vois une prémonition de mort imminente. Essentiellement symbolique — elle renonce à sa féminité et sa sexualité au profit de la puissance maternelle divine. Vénus deviendra la déesse du plaisir amoureux, dont elle-même ne connaîtra jamais ce plaisir.

De plus, l'ombre de la mort réelle tombe également sur le visage de Vénus. La dame florentine Simonetta Vespucci, qui aurait posé pour Botticelli, était l'idéal de beauté de cette époque, mais est décédée subitement à 23 ans de consomption. L'artiste a commencé à peindre «La Naissance de Vénus» six ans après sa mort et a involontairement reflété ici non seulement l'admiration pour sa beauté, mais aussi la douleur de la perte.

Vénus n'a pas le choix, et c'est la raison de la tristesse. Elle n'est pas destinée à éprouver l'attirance, le désir, les joies terrestres

« La Naissance de Vénus » de Sandro Botticelli : que me dit cette photo ?

Les vêtements d'Ora (5) très similaire aux vêtements de Flora du tableau «Printemps», qui agit comme un symbole de fertilité et de maternité. C'est la maternité sans sexualité. C'est la possession du pouvoir divin, pas l'attirance sexuelle. Dès qu'Ora couvrira Vénus, son image virginale se transformera immédiatement en une image mère-divine.

On peut même voir comment le bord du manteau se transforme en crochet pointu par l'artiste : il entraînera Vénus dans un espace carcéral clos, marqué par une palissade d'arbres. Dans tout cela, je vois l'influence de la tradition chrétienne - la naissance d'une fille doit être suivie d'une conception et d'une maternité immaculées, en contournant l'étape du péché.

Vénus n'a pas le choix, et c'est la raison de sa tristesse. Elle n'est pas destinée à être une amante, comme celle qui s'envole dans l'étreinte voluptueuse de Zéphyr. Non destiné à éprouver l'attirance, le désir, les joies terrestres.

Toute la figure de Vénus, son mouvement est dirigé vers la mère. Encore un instant — et Vénus sortira de la coquille, qui symbolise le ventre féminin : elle n'aura plus besoin d'elle. Elle posera le pied sur la terre mère et mettra les vêtements de sa mère. Elle s'enveloppera d'une robe violette qui, dans la Grèce antique, symbolisait la frontière entre les deux mondes - les nouveau-nés et les morts y étaient enveloppés.

C'est donc ici : Vénus est née pour le monde et, ayant à peine réussi à trouver la féminité, le désir d'aimer, elle perd instantanément sa vie, le principe vivant - ce que la coquille symbolise. Un instant plus tard, elle continuera d'exister uniquement en tant que déesse. Mais jusqu'à ce moment, nous voyons dans l'image la belle Vénus dans la fleur de sa pureté virginale, de sa tendresse et de son innocence.

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